Ellory nous plonge dans un polar chargé en ombres et en mystères avec en toile de fond un cirque de freaks... C'est l'agent Travis, du FBI, qui est dépêché dans ce petit bled lynchien de Seneca Falls (Kansas), pour tenter d'éclaircir le meurtre d'un homme aux tatouages étranges... Ellory construit subtilement (quoique classiquement) son œuvre en nous amenant tour à tour dans le passé dérangé de Travis (pas facile de se remettre du meurtre de son père surtout quand c'est sa propre mère qui l'a tué sous vos yeux d'enfant) et dans ce petit monde en apparence tranquille de Seneca Falls tout émoustillé par la venue de ce cirque ambulant puis de cet assassinat. Travis, malgré une vie déjà riche en trauma, s'attèle le plus sérieusement possible à la tâche en bon agent du FBI qu'il est... Certes Hoover lui-même lui a quelque peu reproché son manque d'imagination mais cela ne l'empêche de progresser pas à pas dans ses recherches, en particulier en ce qui concerne les indices sur l'origine de la victime... Si Travis, droit dans ses bottes, a parfois un peu de mal à mettre en permanence des œillères (une jeune femme du coin lui fait gentiment du gringue et il éprouve parfois du mal à rester totalement insensible à la fraîcheur de la donzelle), c'est surtout cette ribambelle de freaks, capables apparemment de lire dans les esprits, qui l'impressionne le plus. Dubitatif envers leur pouvoir, il reste tout de même pantois lors de la représentation à laquelle il assiste et craque lorsque le meneur de la troupe (un certain Doyle (...) au passé également très agité, entre résistance durant la seconde guerre mondiale et fréquentation dupetit monde de la franc-maçonnerie) semble pénétrer au plus profond de son cerveau. Ce Doyle parvient même peu à peu à le faire douter des personnes pour qui Travis travaille : est-il au service de la plus pure des institutions, une institution avant tout soucieuse de la sécurité des citoyens ricains, ou est-il aux ordres d'un ramassis d'individus louches capables de manipuler ses propres hommes pour servir des vues éventuellement douteuses ? Le moins qu'on puisse dire c'est que l'agent Travis va devoir plus souvent qu'à son tour remettre en cause ses propres certitudes...
Ellory nous dresse un portrait assez saisissant à la fois de cette petite ville de campagne avec son lot de personnages banales (la jeune fille naïve, le shérif à la coule, l'hôtelier prévenant...) parfois victimes d'un lointain trauma (trauma souvent mis à nus par cette troupe de freaks qui lisent à livre ouvert dans les esprits...), de ce monde de forains constamment victimes d'ostracisme (leur arrivée ne fut pas franchement perçue d'un bon œil) mais capables d'œuvrer au bien des spectateurs mais aussi, enfin, de cette institution qu'est le FBI avec sa hiérarchie et ses préoccupations loin d'être toujours totalement saines... Travis se retrouve vite comme écartelé entre un passé qu'il n'a pas encore complétement digéré (la mort de sa mère, exécutée, tout comme la liaison qu'il eut en fin d'adolescence avec une femme plus âgée que lui), sa fidélité envers ses employeurs, ses tentations amoureuses et les discours très perturbants de ces hommes de cirque capables de remettre en doute en deux coups de cuillère à pot toutes ses convictions. Travis, tout au long de l'enquête se demande par qui ou par quoi il est le plus influencé, manipulé : ce douloureux passé, ses supérieurs, ces freaks rebelles ? Le suspense qui court tout du long de ces cinq cents pages trouvera son point d'orgue lors d'une confrontation entre divers pontes du FBI lâchés sur place et ces habitants du Kansas sans doute moins naïfs qu'ils en ont l'air ; la situation est devenue tellement explosive qu'on sent qu'on peut assister à tout moment à un véritable carnage... Bien ficelé, bien écrit, ce polar avec des personnages lynchiens de série et une atmosphère bizarroïde à la Browning vous suivra comme votre ombre. Impossible de s'en défaire et de ne pas compatir jusqu'au bout à la crise morale (ou juste paranoïde ?) de ce Travis.