LIVRE : Gema de Milena Busquets - 2021

J'ignore par quel mystère, mais il se trouve que Milena Busquets parvient à me passionner avec des romans qui de toute évidence ne me sont pas destinés. Tout comme Ça aussi ça passera, Gema est ce qu'on appelle un roman féminin, entendez un truc un peu sucré et sentimental sur l'amour, les hommes frivoles, la difficulté d'être mère et la couleur de vos ongles. Pire encore : c'est un roman bourgeois, entendez que l'auteur s'y étend sur son profond désarroi à choisir où elle va passer la soirée ou la couleur de son prochain cocktail. Étant un solide bonhomme et un prolo (...), je devrais me trouver totalement exclu de ce texte. Or, voyez le miracle, vous me retrouvez après cette lecture autant emballé et ému que pour le premier roman de Busquets. Un charme vraiment énigmatique se dégage de cette écriture pourtant cristalline et simple, quelque chose qui a à voir avec le temps perdu et la frivolité de la vie. Et c'est ce qui fait le caractère attachant de ce texte, qui raconte sans vraiment le raconter une enquête de la narratrice : profitant d'un été accablant et inoccupé, elle se met en tête de retrouver la trace d'une de ses camarades d'école, une certaine Gema morte d'une leucémie. A-t-elle réellement eu l'occasion de revoir une dernière fois la petite dans la cour de l'école, ou a-t-elle fantasmé ce moment ? La narratrice va interroger ses anciennes camarades, visiter son école, reprendre contact avec des gens qui l'ont côtoyée pour percer le mystère. Mais cette quête n'est qu'un prétexte à un petit conte d'été très relâché, qui va dresser peu à peu le portrait de cette femme d'aujourd'hui, libérée sans poing levé, émancipée sans lutte politique, féministe sans en faire toute une histoire. C'est ce qui touche le plus là-dedans : Gema dit des tas de choses sur l'état de la femme en 2021, mais le fait avec une légèreté qui réchauffe le cœur. C'est non seulement un joli roman sur le temps qui est passé, mais surtout une chronique drôle et moderne sur les amitiés, les amours, les hommes et les femmes. Le caractère de cette quadragénaire lucide et attachante fait tout le sel de ces pages lumineuses, qui fait semblant de parler de frivolités pour mieux travailler le sujet qui tracasse Busquets depuis déjà deux romans : qu'est-ce que c'est, vieillir, oublier, abandonner, tomber et se relever, vivre... C'est aussi bref qu'une petite friandise et aussi bon. Très touchant.