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25 mai 2021

LIVRE : Billy Wilder et moi (Mr Wilder and me) de Jonathan Coe - 2020

9782072923920,0-7295183Bonheur tout simple mais très fort de lire ce bouquin taquin, modeste et amoureux de Jonathan Coe, qui ressuscite brillamment le bon Billy Wilder dans tous ses aspects. Sans tomber dans la biographie plate, mais très attentif pourtant au contexte, au caractère de son modèle, à la véracité de ce qu'il raconte, il trousse une trame habile autour de la figure tutélaire de Wilder : Calista est une jeune fille sans histoire qui vit dans sa Grèce natale. Le hasard la mène lors de vacances à un dîner mondain dont l'invité d'honneur est un cinéaste dont elle ne connaît rien, mais qui a l'air d'être adulé par la plupart des autres convives. La complicité naît aussitôt, et voilà notre jeune oisillon héllénique embarquée en tant qu'interprète sur le tournage de l'avant dernier film du bougre, Fedora. Film qui n'est pas pris au hasard, car très symbolique dans l’œuvre du maître : c'est un film testamentaire, Wilder commençant à être quelque peu oublié sous l'avènement des "films de requins" et autres barbus d'Hollywood aux dents longues ; c'est un film de vieillesse peut-être autobiographique, puisqu'il raconte la mort d'une star de l'ancien temps retirée dans son île ; et c'est un film important pour lui puisque son tournage le ramène en Allemagne après des décennies d'exil et la disparition de ses parents, déportés en camp. Pourtant très en forme, n'ayant rien perdu de sa verve et de son acuité, Wilder se montre tout au long du livre brillantissime, drôle, joyeux, et Calista va peu à peu développer sa tendresse et son admiration pour ce génie, apprendre à connaître ses films et comprendre l'homme, et devenir une complice intime du gars. Pas d'histoire d'amour là-dedans, juste une jolie thématique de la transmission d'un vieil homme un peu "ringard" à une jeune fille ignorante (elle apprend par cœur les critiques de films d'un dictionnaire un peu réac, très grande idée) et à l'avenir devant elle, ce dont elle saura profiter puisqu'elle deviendra compositrice de musique de films.

L'histoire est absolument charmante, surtout parce qu'elle donne l'occasion de deux scènes magnifiques : la première est celle de la rencontre, grand dîner un peu prout-prout dynamité par les saillies wilderiennes, son goût pour l'anecdote, son esprit inlassable, ses bons mots délicieux. Calista va mettre deux minutes à succomber eu charme du cinéaste, et le lecteur tout pareil : Coe a un talent incroyable pour planter une époque, un esprit, un personnage en quelques mots, laissant ses dialogues hyper dynamiques et ses petits détails précis et justes faire le reste. En plus du réalisateur, on découvre son co-scénariste, A.L.Diamond, homme de l'ombre bienveillant, ami jusqu'au bout de Wilder, et la femme de Wilder, véritable égérie tout aussi marrante que lui. En quelques notes acides ou bienveillantes sur le petit monde d'Hollywood (connaissez-vous les rapports qu'entretenait Al Pacino vis-à-vis des hamburgers ?), Coe ressuscite une époque, et on se fond avec délice dans ce monde superficiel et coloré, très attachant. La deuxième scène est sur la fin du livre, quand les deux complices pourtant si différents se retrouvent à manger du fromage dans une ferme française, moment suspendu volé au tournage, moment remarquablement écrit par Coe, qui fait mine de ne pas avoir de style, de se faire simple narrateur, mais qui en fait est d'une précision diabolique dans les rythmes, le choix des ambiances, la durée des phrases. Billy Wilder et moi est d'abord un livre joyeux et simple, le très beau portrait d'un homme d'exception, et une véritable école de style, de mesure, de tenue.

Mais c'est aussi, ce qui le rend définitivement grand, le portrait douloureux d'un mode qui s'éteint. En son milieu, le livre est "troué" par une anecdote racontée par Wilder, et qui prend la forme d'un scénario que le bougre aurait pu écrire ; et ce scénario vous plonge subitement dans la tristesse, jetant un éclairage nouveau sur l'homme, en fouillant dans sa psyché tourmentée par la mort de ses parents en camp de concentration : on y voit Wilder scruter des heures et des heures de rush sur Auschwitz libéré, cherchant désespérément dans les monceaux de cadavres sa propre mère. On ferme son clapet pendant ces 30 pages magiques, douloureuses, que Coe écrit avec toute la distance et le doigté nécessaire. Cette scène magnifique répond par ailleurs aux dernières, où Wilder analyse La Liste de Schindler de Spielberg (qu'il aurait dû réaliser lui-même, apprend-on), racontant qu'encore une fois, il ne peut s'empêcher de chercher l'image maternelle manquante même dans ce film qu'il sait pourtant être une fiction. Ce contrepoint grave instille le livre très habilement, et l'empêche de n'être qu'un joyeux portrait d'Hollywood, un récit de tournage, l'histoire d'une amitié, enfin toutes ces pistes plus légères. Auschwitz est la tâche noire du roman, tout comme l'est la vieillesse de Wilder, son oubli, son inspiration qui s'en va... En tout cas, voilà un livre qui m'a enthousiasmé, ce qui faisait longtemps. Incontournable.

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