Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
18 juin 2021

Drunk (Druk) de Thomas Vinterberg - 2020

838_20200908_122013

J'ai toujours pensé que l'homme avait besoin d'être un petit peu bourré pour être un honnête homme, et ce film bouleversant en est la preuve, tout en étant également une formidable ode à l'amitié, une troublante déclaration d'allégeance à la jeunesse et une brillante comédie désabusée, cynique et désespérée. Ce qui commence comme un gag un peu lourdaud, qui aurait donné une grosse comédie qui tâche chez n'importe quel cinéaste bourrin, se transforme ici en or sous le trait fin mais pourtant volontaire de Vinterberg. Voilà un cinéaste qui ne nous a pas habitué qu'au meilleur ces dernières années : Drunk est son meilleur film, je le dis tout net en essuyant mes yeux après cette scène finale poignante. Soit donc quatre potes un peu losers, un peu vieux, un peu ringards (c'est-à-dire des gens comme Shang et moi), profs dépassés, maris fatigués et cinquantenaires gagnés par la désillusion. Un d'eux déniche quelque part une théorie qui veut que l'homme doit constamment avoir de l'alcool dans le sang, et c'est parti pour un long film aviné, sous influence, à la fois joyeux et mordant, au cours duquel nos gaillards vont réapprendre à vivre, à aimer, à parler, à rire, à grands coups de gnôle, bière, vodka et autres spiritueux. Sous couvert scientifique (les bougres rédigent un essai  rempli de mots ronflants sur leur expérience), c'est la vie qu'ils expérimentent à nouveau, sa dangerosité, sa vitesse, son énergie. Et à travers eux, Vinterberg livre une vibrante déclaration d'amour à la liberté, à l'irrévérence et aux potes. Certes, l'expérience ira trop loin, et de l'ivresse à l'alcoolisme le pas sera vite franchi ; mais entre temps, en surfant entre les blâmes professionnels, les menaces conjugales et même la mort, nos quatre gars retrouvent une certaine façon de vivre, punk et joyeuse, qu'ils n'avaient pas éprouvée depuis leur jeunesse.

drunk-2020-thomas-vinterberg-L-1gZcH3

Croyez-moi, si vous tournez comme votre serviteur autour de l'âge fatidique des 50 ans, ce film vous mettra tranquillement la tête dans le seau, non seulement pour y vomir mais aussi pour vous y renvoyer le reflet de votre propre tristesse, de vos misérables concessions sur la vie, de votre triviale existence. Parce que vous ne pourrez que vous reconnaître dans la profonde mélancolie de la chose, et que la solution suggérée par Vinterberg, à tout prendre, est peut-être valable : retrouver un état d'innocence perdue, lâcher les chiens, accepter ses petitesses et ses grandeurs, et danser bourré sous la lune. Bien sûr, le cinéaste appuie sur les limites de cette expérience en regardant avec toute la cruauté souhaitée ces hommes vieillissants se conduire comme des gamins, en pointant leurs addictions, leur alcoolisme. Mais ce qui compte, c'est qu'en l'éprouvant, ils ont retrouvé un état, ce que la danse ultime de Mikkelsen à la fin illustre brillamment : la jeunesse, les potes, l'alcool, et notre mec qui danse au milieu, avec le lâcher-prise qu'il faut. Ça faisait longtemps qu'on était pas tombé sur une séquence d'une telle intensité : l'expression de la joie dans son plus simple habit, c'est ce que nous suggère cette chorégraphie un peu pataude, pas bien dansée, un peu ridicule, mais si sincère.

5f864fc2e222a5d1668b46c2

Finalement, Vinterberg n'a pas tant vieilli que ça depuis Festen. Son film, d'abord, conserve quelque chose de l'esprit "Dogme" des années fastes, montage faussement amateur, caméra mobile et relâchée, aspect sur le vif des scènes, dialogues à l'arrache, semblant d'improvisation. Et dans l'esprit aussi : le film est sainement impoli, fustigeant parfois un peu lourdement la bien-pensance bourgeoise, le confort et le prêt à penser. Ses personnages jusqu'au-boutistes et inattendus, justement campés par des petits bourgeois assagis (la scène moqueuse du repas d'anniversaire au début), sont touchants parce qu'ils larguent les amarres et décident d'agir contre le bon goût sans revendication, sans grand discours. Certes, c'est rigolo de les voir tituber dans les grands magasins ; certes, les défauts habituels des alcooliques (se cacher pour picoler, mettre de la vodka dans ses bouteilles d'eau) sont tournées de façon à les rendre comiques et donc excusables ; certes, le film n'est pas toujours très fin. Mais il est beaucoup plus sérieux que ce que son ton humoristique annonce : il parle de quatre hommes perdus qui se retrouvent, autour de leur amitié et eux-mêmes tout autant, et qui découvrent que boire leur redonne le goût de la vie. Au centre de ce quatuor, Madds Mikkelsen, comme toujours, est impérial, sobre, puissant, bouleversant : son petit prof dépassé est parfait, son alcoolo passionné fait chaud au cœur ; grâce à lui et à son jeu subtil, le scénario évite tout moralisme facile, et se complexifie volontiers devant le sujet. Ses trois camarades ne sont pas en reste, et on dirait même que le film étudie avec eux les différentes façons d'être saoul, du pitre au type qui a le vin triste, de l'euphorie à l'hébétude. Et puis rien que pour le réconfort que Drunk apporte, le sentiment irrésistible de joie qu'il dégage, les coups de boutoir qu'il inflige à votre cœur de pierre, on ne peut que saluer la chose, et s'en resservir un p'tit dernier. (Gols 11/05/21)


vlcsnap-2021-06-18-12h59m36s958

Il y avait un je ne-sais-quoi dans ce film qui faisait que cela ne me disait rien de le voir et dieu sait pourtant qu'on est là dans un de mes deux domaines de spécialité (je trouve pas l'autre mais ça viendra). Et j'avoue que la première heure, disons-le franchement, ne m'a guère convaincu - quatre types, la cinquantaine, avec autant d'illusion qu'en Hanouna des neurones, défaits, physiquement, moralement, sexuellement... Ils commencent donc à picoler et là miracle, les cours de ces quatre profs deviennent terriblement plus animés, plus intenses : on y croit pas plus qu'une mesure de gauche chez Macron (quand tu es légèrement bourré, tu es plus apte à te laisser aller et donc à enseigner ? - ça sent pas le vécu, on est bien dans une fiction tirée par les cheveux) mais on est prêt à accorder un peu de crédit à ces quatre-là qui retrouvent un peu d'envie, d'envie d'avoir envie, qu'on rallume leur. Sceptique, suis-je donc, même si je reste épaté par cette gueule marquée, de six pieds de long, cette gueule défraîchie d'un Madds Mikkelsen qui semble, soudainement, sous l'effet de l'alcool, peu à peu raccrocher les wagons avec ses potes, avec ses élèves, avec sa femme... Bon, et puis vient forcément le pas de trop en avant, la beuverie totale des quatre, le carnage, le naufrage... Tout part en sucette, Madds en tête, il se blesse méchamment, finit comme un clodo à quelques encâblures de chez lui, fout la honte à ses fils, s'engueule méchant avec sa femme. La mesure éthylique de trop, le trop plein qui déborde et qui finit par noyer nos quatre punks qui n'en ont définitivement plus l'âge. Cette chute-là, ces chutes-là commencent tout juste à me rendre le film un peu sympathique, comme si on touchait enfin du doigt une certaine vérité ; il y a ce prof de sport qui porte sur sa vie, sur sa baraque, sur son taff un regard si désabusé que son désarroi nous perce proprement le cœur et un événement tragique qui survient dans la foulée enfonce le clou... C'est bien dans les cinq dernières minutes que le film s'envole : il faudra un sms ravageur pour que Madds reprenne enfin goût, véritablement, à la vie et un air de musique (comment ne pas écouter en boucle en sortant ce what a life qui déchire) pour que Madds retrouve toute la folie de sa jeunesse - et là franchement, pfiou, on se prend un vrai petit morceau de cinéma terriblement cathartique dans la tronche en rêvant déjà d'une prochaine grosse beuverie entre amis - et rien que pour ça Vinterberg et Mikkelsen méritent tout notre respect... ♪ what a life ♪  (Shang - 18/06/21)

vlcsnap-2021-06-18-13h00m07s450

Commentaires
S
Je me tâtais, vous faites encore une fois pencher la balance.<br /> <br /> (Je note votre "schisme" Shang/Gols quant à la meilleure œuvre du Dogme : Les Idiots ? Festen ? Bah pour moi ça a toujours été les deux. Mais je reconnais que Festen a peut-être davantage vieilli.)
Répondre
Derniers commentaires