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7 mai 2021

LIVRE : Marconi en personne de Gilles Moraton - 2021

9782371190849,0-7283096Placé sous l'égide de Kafka, ce roman étrange et assez insaisissable de Gilles Moraton suit effectivement d'assez près les méandres surréalistes et prophétiques de l'auteur du Château. Même goût pour la politique mais camouflée sous l'allégorie, mêmes attaques sur l'aliénation sociale, même humour froid, même sens de l'absurde et de la fable, même goût pour les personnages banals plongés dans des situations rocambolesques et cauchemardesques... En l'occurrence, voici Bela, petit homme sans histoire, qui noue une relation amoureuse avec la mystérieuse Roxane ; celle-ci s'adonne à l'activité la plus interdite qui soit en ces temps futurs d'asservissement social : elle danse la valse. Et elle est par ailleurs propriétaire d'un appartement donnant sur les fenêtres de son voisin, le mythique et inabordable Marconi, symbole d'une société définitivement vouée au capitalisme et au travail, mystérieux personnage représentant à lui seul toute la déviance du pouvoir libéral, sorte de mix entre Macron et Sarkozy si on veut vraiment voir un symbole derrière tout ça. A force d'observer Marconi chez lui, la belle finit par se faire arrêter puis déporter, et Bela décide de réagir à sa disparition : confronté à la police, traqué par le pouvoir invisible et bigbrotheresque, rendu paranoïaque par le système de dénonciation mis en place autour de lui, il va pourtant organiser une révolution, et fomenter le Crime ultime de régicide...

Moraton crée une société légèrement futuriste assez effrayante, où lentement, presque invisiblement, avec l'accord larvé de la population elle-même, la vie est devenue un cauchemar entièrement voué au profit et à l'asservissement. Au milieu de ce marasme, Bela, petit homme sans envergure, réagit presque par défaut : il aime, et décide donc de rentrer en rébellion, d'abord discrète puis de plus en plus activement, contre ce pouvoir absurde. En fin observateur de notre bonne vieille société, Moraton connaît la valeur des symboles et des leurres proposés par les pouvoirs autocratiques, il a lu 1984 et son goût pour la satyre fait le reste : il parvient à faire un roman pas loin de la SF, crédible, drôle et palpitant. Malheureusement moins à l'aise dans la construction globale du livre (c'est franchement un gros bordel, ça fait valser les discours à la va comme je te pousse, la ponctuation est floue), il peine à rendre son texte fluide. On est souvent gêné par l'écriture, heurtée, aux articulations rouillées, maladroite : on sent qu'à l'oral, ces formules passent, mais telles quelles, elles ont du mal à passer la barrière de l'écrit. Dommage, parce que le texte est assez brillant dans sa critique et dans son humour : ce personnage de Marconi, vague ermite mis là uniquement pour sa force symbolique permettant de dissimuler les actions néfastes de l’État, marionnette évoluant dans un décor unique et artificiel, chantant tristement l'opéra à ses heures, est passionnant à observer, et la position du narrateur face à lui est palpitante. On ne suit pas exactement tout à cause de cette écriture trop sophistiquée, cherchant trop l'effet, mais du désordre jaillissent parfois quelques belles pages sur l'amour, sur la politique de demain, ou sur ce personnage très bien dessiné plongé dans une situation qui le dépasse. Crédible dans ce qu'il annonce, fun dans ce qu'il raconte, Marconi en personne est un bouquin pas désagréable, qui n'a pour seul défaut que d'être mal dégrossi.

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