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27 mars 2021

Snake Eyes (Dangerous Game) d'Abel Ferrara - 1993

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Sacré Ferrara... Le bougre parvient, même en parlant de la cueillette des petits pois ou d'un week-end à Chamonix, à vous servir un film sulfureux et violent, sexuel et traumatique. C'est plus fort que lui : pour lui, notre chienne de vie se réduit à de la domination, du sang, de la coke et du sexe brutal, c'est comme ça. Nous voici donc embarqués dans un de ses films les plus borderline, qu'on imagine bien éprouvant pour ses acteurs autant que pour les personnages qu'ils interprètent. Très autobiographique, Snake Eyes est le récit d'un tournage, et on imagine bien que dans l'imaginaire torturé de Ferrara, il s'agit d'un tournage qui va nécessiter une implication totale de ses acteurs et de son metteur en scène. Surtout que le film dans le film raconte une relation toxique du meilleur effet : un couple, elle souhaitant sortir d'une spirale sexe-cocaïne-alcool, lui préférant s'y vautrer dans une posture auto-destructrice. D'où déséquilibre dans le couple, d'où engueulades tendues, d'où coups qui partent, d'où flingues... du Ferrara, quoi, puisqu'il est entendu que les relations homme/femme, dans son monde, ne peuvent exister que dans la violence et la frustration. En marge de ce tournage éprouvant, on s'intéresse aussi au travail intense du metteur en scène, sorte de Machiavel totalement impliqué dans son histoire, entretenant des relations troubles avec son actrice, attisant les déviances de son acteur, et se piégeant lui-même dans une existence de mensonge et d'excès qui va le faire couler peu à peu. On le voit, tout n'est pas rose-rose dans ce film réalisé dans la fièvre (et on l'imagine, dans des vapeurs de coke), l'enfer se fera nettement sentir dès les premiers plans, et on ne sortira jamais de cette image doloriste (dans le sens chrétien) du cinéma et de l'art : tout doit passer forcément par la souffrance pour être validé par Ferrara, ici au sommet de sa dépression. Son film, très cassavetien (Madonna est souvent filmée comme Rowlands l'était jadis) pousse un peu plus loin encore la violence des relations metteur en scène/actrice, et on en ressort assez éprouvé.

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C'est dans une sorte d'urgence agressive que Ferrara tourne son film. Dans des grains d'image différents, qui prouvent le côté "pris sur le vif" de ses scènes, il attrape des bouts de vie comme d'autres traquent des biches. Plans courts, saturés, parfois amateurs, cultivant une violente ambiguïté entre fiction et réalité. Il y a un film dans le film, donc, mais aussi un film dans le film dans le film, le travail de Ferrara débordant très souvent sur le film lui-même : on se dit que certaines séquences font trop vrai pour ne pas avoir été réelles, et on imagine bien le bougre pousser les acteurs dans leurs retranchements pour obtenir cette vérité-là. A ce jeu, les deux acteurs, James Russo et Madonna, sont assez formidables : ils se laissent mener par la violence de leurs scènes, et Madonna se prend quelques baffes qu'on imagine pas du tout truquées par un Russo intense et dévasté, complètement habité par le rôle. On peut tiquer, c'est vrai, devant cette vision adolescente des rapports humains au cinéma, penser qu'il est possible de réaliser un film brutal sans être soi-même brutal ; mais on ne peut que constater que la méthode-Ferrara est plus que payante dans la cas qui nous occupe : le film est fulgurant, insoutenable, hyper brut.

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On y voit aussi et surtout un portrait du cinéaste lui-même, incarné par le parfait Harvey Keitel, marionnettiste diabolique qui mène tout ça dans l'ombre. Les plans magnifiques sur son visage concentré en bordure de plan, sa façon de diriger les acteurs frontalement, la douleur qu'il met dans chacune des séquences qu'il a écrites, dresse un portrait de Ferrara habité par ses films jusqu'au vertige. Cet acteur déclenche toujours chez ce cinéaste des fantasmes religieux, des images de douleur christique, et une fois encore il ne se prive pas de montrer Keitel en plein doute métaphysique, dans des postures de pieta sacrificielle ou des confrontations directes avec sa morale (et sa femme, jouée par... Nancy Ferrara, pas mal du tout en tenancière de la morale au milieu de cette gabegie de débauche). Snake Eyes est un film qui fait de l'excès un sine qua non, c'est un film fatigant et parfois un peu gamin dans ses postures de génie qui ne peut créer que dans la douleur, mais c'est un film très incarné, brûlant et sincère, et du coup très beau.

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