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23 mars 2021

La Femme des Sables (Suna no onna) (1964) de Hiroshi Teshigahara

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Eh oui, tout arrive, là voilà cette fameuse Femme des Sables tant promise et que je n'avais pas revue depuis une bonne quinzaine d'années. Le bouquin d'Abe Kôbo était saisissant (une nouvelle fois tous mes hommages à Gols), l'adaptation qu'en fait Teshigahara (sur un scénar d'Abe) l'est tout autant. Il n'était en effet pas si évident d'imaginer une transposition "en images" de cette atmosphère si noire, si tendue, si sèche. Dès les premières scènes, avec cet entomologiste qui marche dans les dunes, dans ce noir-et-blanc magnifiquement grisâtre, on y est : on sent le grain, chaque grain de sable, la chaleur, on ressent toute la difficulté qu'il y a à avancer dans ce paysage aride et glissant. Notre homme regarde les bêtes de haut, aime à les emprisonner, à les observer une fois épinglés, il ne va pas tarder à subir la même punition. Un endroit pour passer une nuitée ? Les gens du villages sont affables, l'un en particulier, qui le conduit dans une cabane en bois située au fond d'un trou entouré de sable... Il faut une échelle pour y descendre, il en faudrait une pour en sortir, le seul problème étant que ladite échelle, le lendemain, elle n'y est plus... Notre homme est pris dans sa cage de sable avec une femme guère farouche, une veuve, qui n'est pas contre deux bras pour déblayer, pour l'aimer, pour la soutenir... Notre homme tourne comme une fourmi dans un verre, fait quelques essais infructueux pour gravir cette colline qui s'effrite sous chacun ses pas, fulmine, lambine, échaffaude un plan... mais une fois dehors, pardon, en dehors du trou, pourra-t-il tromper la vigilance des gens du village ? La situation est mouvante, non point mobile, mais comme le sable : plus on cherche à se débattre et plus on s'enfonce - jusqu'à accepter son sort d'être piégé en attendant la mort ? - mais n'est-ce pas le cas de tout un chacun ? (toi, t'es plutôt Pfizer ou AstraZeneca ? Putain, tu me bassines).

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La situation est claire, les métaphores multiples : un homme, une femme, un piège - mais ce piège-là ou un autre, cela change-t-il vraiment la donne ? un homme, une femme, une maison, une menace constante sur l'habitation, celui du sable, qui, tel un sablier égrène ce temps lancinant qui passe ; mais tant qu'il y a du sable, il y a de l'espoir, car cela permet au moins d'occuper ses journées, ou ses nuits ; sans travail, pas d'eau, sans eau, pas de vie... Le piège semble parfait, il l'est presque, mais il ne change guère de tout bon confinement qui se respecte : quant à l'espoir d'aller voir ailleurs, de s'échapper, n'est-ce pas simplement illusoire ? Autant s'embourber chez soi... Alors une fois cloîtré, que reste-t-il à faire ? Dormir, manger, baiser... Baiser, oui, c'est ineluctable ; dès le premier matin, l'homme a remarqué les courbes de cette femme-dune et malgré qu'il en ait, l'envie, d'elle, il se contient, prêt à partir vers d'autres... d'autres quoi finalement ? Une fois piégé, il se laisse facilement prendre au jeu de cette promiscuité : les baisers laissent un goût de sable, chaud, amer, notre petit prof devient légionnaire, succombant sans réel combat à la peau de cette femme offerte. Teshigahara, par des plans sur ce sable qui s'écoule nous donne l'illusion de visions spermiques, et par des gros plans sur des détails du corps de l'un ou de l'autre, nous fait ressentir toute cette chaleur, toute cette moiteur, de ce sable qui colle à la peau, qui s'insinue dans chaque pore... On s'enlise avec eux.

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Mais notre homme est un homme : il ne perd jamais espoir, fabrique, calcule, échaffaude un plan - et quand il échouera, forcément, il se repliera sur ses expérimentations, refabriquera, recalculera, réchaffaudera des plans, tout fier de ses trouvailles - car l'homme a besoin d'avoir l'esprit en action, ne peut se contenter de ce qui lui est offert, c'est bien connu. Un homme, une femme, bientôt un enfant ? Ne parlons pas de malheur, pardon, ne faisons pas de plans sur la comète, notre homme ne va quand même se piéger lui-même dans ce piège. Mais n'est-ce pas merveilleux de se sentir piéger (HFT parvient toujours à me sortir de mes ornières). Ne me dites pas que l'homme est en train de prendre goût à ce confinement forcé ? - et si... eh si. La paire Abe / Teshigahara livre le film ultime sur la puissance du sable et sur la petitesse de la condition humaine, aussi pathétique qu'un insecte, l'homme, aussi prévisible qu'un grain de sable qui, au moindre coup de vent, chut. Une oeuvre magnifiquement désespérante, un double coup de maîtres. Allez les garçons, à sable !

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