Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
18 février 2021

Le Village du péché (Бабы рязанские) d'Olga Preobrajenskaïa - 1927

Harcèlement-Village-du-pêché-e1471882294372-946x460

Le "premier film féministe de l'ère soviétique", oui monsieur, voilà ce que vous propose cette fameuse Olga Preobrajenskaïa, femme cinéaste russe à une époque où elles étaient plutôt rares (à part elle, on peut citer... ah ben personne). Et c'est vrai que son film envoie bien, et donne un portrait de femmes courageuses et libres loin des modes machistes de l'époque. Le carcan infernal des traditions russes sert d'écrin à ce conte mélodramatique sur une certaine émancipation des femmes, d'autant plus marquante qu'elle se situe dans un pays qui refusait certainement de la constater en ces temps-là. Des femmes, il y en a plein dans le film, toutes représentantes d'un certain état du sexe faible : vous avez Loukeria, une sombre salope complètement marquée par la jalousie et le manque d'amour ; vous avez Anna, victime sacrificielle des hommes, mariée de force, violée, humiliée, rejetée par la communauté pour une Faute dont elle n'est pas responsable ; vous avez Wassilissa, bannie du clan familial pour avoir aimé un homme au-dessous de sa condition, et qui va trouver dans l'exil la voie de son émancipation ; et vous avez le lot des commères du village, infâmes garces, grenouilles de bénitier, colporteuses de ragots, garante de la bien-pensance. Et puis vous avez les hommes, avec à leur tête le fourbe Vassili, père de famille dans la tradition, brutal et sans amour. Il mène à la baguette tout ce petit monde qui vit en attendant les hommes partis à la guerre, frappe bobonne et abuse de la belle-fille, bref une vraie gabegie au royaume des soviets. Mais malgré l’adversité, ces dames trouveront leur épanouissement, qui dans les travaux des champs en l'absence du mari, qui dans l’établissement d'un orphelinat, qui dans le suicide aussi mais bon. En tout cas, Preobrajenskaïa livre un brillant plaidoyer pour la libération des femmes, de la domination masculine autant que des conventions ancestrales d'un pays rongé par les traditions paternalistes.

uT_IzZxUUCqCVHuoinBzUnGxaHpY1opdQfeq0qglmDI

Le film est spectaculaire et très réussi. Il y a d'abord l'aspect documentaire, qui présente de ravissantes saynètes qui respirent l'authenticité sur les travaux champêtres ou sur les fêtes de village. On y découvre tout un monde de paysans pauvres mais festifs, travailleurs mais qui savent s'amuser, autour de grands défilés musicaux, de costumes chamarrés et de rigolades (je rappelle que le tout est en noir et blanc et muet, mais ça n'empêche). Avec un réalisme total, la cinéaste mêle les professionnels et les amateurs, et réalise une œuvre qu'on pourrait déjà rapprocher du néo-réalisme. En tout cas, des scènes lumineuses et formidablement filmées : la caméra est fixée sur les chars, sur les balançoires, sur les tourniquets, et on est embarqué avec les personnages dans le tourbillon de ces scènes non-narratives, qui constituent une bonne part du film et de notre plaisir. Le Village du péché est d'abord une fidèle transcription de la vie rurale russe au début du XXème siècle. Mais la dame ne s'arrête pas là : son histoire, complexe, riche en personnages, est racontée avec un art imparable de a mise en scène. La séquence du viol, notamment, est un modèle de suggestion et d'effroi, avec ces ombres façon Nosferatu qui se découpent sur la porte, avec ces grands yeux effrayés, avec tout ce qu'on imagine qui se passe derrière cette porte, avec ce type qui ressort simplement de la grange en se re-braillant. Les dernières bobines, qui s'emballent sérieusement, sont aussi marquantes, avec cette femme qui se tue devant toute une communauté qui se rend peut-être enfin compte de ses erreurs. Et puis certaines images marquent particulièrement, par exemple celle de cette femme maniant la charrue ou de ces orphelins construisant eux-mêmes leur orphelinat, comme ce mariage forcé qui devient en deux secondes un mariage d'amour, comme ce ballet de sorcières médisantes proche d'un Shakespeare. Un très beau film, libre et fier, digne et magnifiquement maîtrisé.

TuHIpInvyEds7eA7or2U-j7ljdB53rWF4DrZ6yOsxtk

Commentaires
H
Film en effet magnifique, d'une très grande intensité morale, dramatique et esthétique, en chaque instant.
Répondre
Derniers commentaires