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11 février 2021

Blow-Up de Michelangelo Antonioni - 1966

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Je n'ai jamais bien compris ce film, et même après cette quatrième ou cinquième vision, vous me trouvez toujours démuni face à cet objet bizarre et mystérieux comme un bon vieux Lynch. Ce qui n'empêche pas que j'ai pris comme à chaque fois un plaisir certain à suivre les méandres de ce labyrinthe. J'avais le souvenir d'un film à suspense, autour d'un photographe qui prend par erreur une scène de crime dans un parc. Eh bien, c'est ça, certes, mais cette histoire n'arrive qu'au bout d'une heure de métrage, et est finalement à peine esquissée : l'affaire ne sera pas résolue, et cette partie-là du scénario est travaillée presque par défaut, pour coller une trame à un film qui sans elle aurait pu paraître trop expérimental, trop abstrait, trop cérébral. En fait, cette sombre histoire d'assassinat rentre dans une thématique plus globale : Blow-Up traite plus du point de vue que d'une histoire policière. Thomas voit-il vraiment ce qu'on voit, ce qu'Antonioni veut nous faire voir à tout prix ? Autrement dit : y a-t-il vraiment un cadavre dans ce fourré ou tout ça n'est-il pas une projection subjective du photographe (et avec lui du spectateur du film) ? N'a-t-il pas tout simplement assisté à une triviale scène d'infidélité, ou de prostitution ? C'est ce que tend à démontrer tout le reste du métrage : tout est question de point de vue, et le cinéma est le lieu des fantasmes, des projections mentales, de ce qu'on veut faire dire à tout prix à l'image, de l'interprétation.

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Thomas, photographe cynique à la mode, profondément antipathique, passe ses journées à shooter des mannequins dans son studio, puis de temps en temps, suivant son humeur qu'il a bien maussade et changeante, à coucher avec l'une d'elles. Sa vie est une longue errance désabusée, et le "swinging London" lui semble arrivé à sa fin : tout n'est qu'une succession de signes sans sens, la mode est une façade qui cache une superficialité dans laquelle il est comme un poisson dans l'eau. La première heure, peut-être un peu longue pour développer cette simple idée, est là-dessus : la vie vide de cet artiste envié de tous, qui peut acheter un objet inutile comme une hélice de bateau sur un coup de tête, qui peut ou non coucher avec telle lolita (Jane Birkin en nymphe hystérique), qui peut arriver en retard à ses rendez-vous professionnels, parce que son existence est une suite de signes qui ne signifient plus grand-chose. C'est alors qu'il tombe sur une scène qui lui échappe dans un parc : un couple qui s'embrasse, la femme qui le remarque en train de les photographier et qui panique. Après développement et triturage de ses photos, il aperçoit (peut-être) un homme armé dans un buisson, un cadavre un peu plus loin, des regards qui en disent long, enfin tout un faisceau de "signifiants" qui mettent enfin un peu de sel dans sa vie. Son enquête fera long feu et se terminera dans un club de rock underground de Londres, où Jeff Beck brise sa guitare, puis au bord d'un court de tennis où des mimes disputent une partie sans balle et sans raquette...

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C'est adapté d'une nouvelle de Cortazar, et on voit bien la filiation. Blow-Up est étrange, insaisissable, déjoue sans arrêt nos attentes. Il me semble que c'est la scène de la guitare brisée qui donne une partie du sens au film : la guitare est l'objet de toutes les convoitises prise dans le contexte du concert de rock, puis devient un objet sans utilité dès qu'on sort du club. Tout est question de perspective. De même, la balle de tennis invisible devient réelle à partir du moment où Thomas accepte sa réalité. Ce thème abstrait est filé dans un film dénervé, très froid, mais merveilleusement mis en scène. Antonioni ose tous les excès dans la cité pop de son film, réalisant un incontournable pour saisir le Londres de l'époque : ça pète et ça flashe comme un clip de Gainsbourg, les couleurs sont primaires, le montage très musical ; et pourtant c'est lent et privé de sève, à l'image de ce personnage cynique qui ne croit plus en rien. Le monde extérieur est réduit à une suite de symboles plus ou moins parlants, des impulsions mystérieuses que Thomas saisit ou non. C'est ardu, certes, d'autant que le film est porté par un être assez détestable, qu'on n'a pas envie d'aimer, sur lequel la projection du spectateur n'opère pas ; mais c'est aussi fascinant, le genre de films cérébraux qui n'existent plus aujourd'hui mais qui ont fait les beaux jours d'une certaine époque. Intello et intelligent, un film qui ne peut que nécessiter de longues discussions philosophiques...

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Quand Cannes, 
Tutti 'Tonioni

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