River of Grass (1994) de Kelly Reichardt

Premier film de Kelly Reichardt qui possède déjà un ton particulier à défaut d'avoir un style bien marqué, une première œuvre teintée d'accents de rébellion et d'une pointe de féminisme. Au départ, un jeune homme, un peu, pour ne pas dire "carrément" branleur, qui hérite, par le biais de l'un de ses potes d'un gun (c'est jamais de bon augure) ; le type se fait foutre à la porte de sa maison par sa grand-mère et semble bien parti pour filer un mauvais coton (comme disait la mienne). A quelques encâblures de là, il y a une femme, qui vit en couple, avec deux enfants en bas âge, qui se fait chier à cent sous de l'heure. Elle rêve d'autre chose, d'un ailleurs, d'une vie en tout cas un peu plus excitante que celle qui consiste d'élever deux marmots entre quatre murs. Un soir elle se maquille, enfile son short, sort, elle tombe sur ce type, ils picolent un brin, déconnent, se rendent chez un "ami absent" qui possède une piscine et c'est l'accident : on les surprend alors même qu'ils tripotaient le gun, le coup part, ils prennent la fuite. Ils rêvaient d'un nouveau départ, c'est franchement l'occasion - avec malheureusement déjà, pour ces deux Bonnie et Clyde de pacotille, une petite casserole au derrière...

Il y a un détective (le père de la donzelle, un poil loser), des coups de feu (surtout contre des insectes...), une "enquête" (la disparition de la donzelle n'est pas totalement passée inaperçue au sein de son foyer), mais derrière ces petits aspects pseudo-thrilleresques, se cache surtout l'intérêt de la cinéaste pour des destins qui tentent de sortir des sentiers battus, pour des personnes à "histoires" (un passé trouble, nos deux jeunes gens n'ayant pas eu deux parents franchement irréprochables ; un présent excitant : nos deux jeunes gens parlent, parlent, parlent, comme si enfin ils avaient trouvé un véritable interlocuteur ; un futur à écrire : dans la fuite, mais surtout dans la nouveauté), pour une femme qui veut se donner la chance d'une seconde chance. Pas de braquage (ou alors pour le moins pathétique, qui tourne au ridicule), pas de road-movie (ils restent aux alentours, dans des motels peu glorieux), pas de coups d'éclat retentissants, pas de passion sexuelle fusionnelle (ça baisouille même pas) : on découvre juste deux jeunes adultes sur la brèche, un jeune homme guère courageux qui tente maladroitement de surfer sur la situation et une jeune femme au caractère plus affirmée qui sait parfaitement, rapidement, pourquoi elle est là : elle ne souhaite pas retomber dans l'ornière de sa vie plan-plan ; c'est elle, finalement, qui prendra le "lead" lors d'une fin (teintée d'un soupçon de causticité) où elle prend son destin en main, n'hésitant pas à jeter le bébé avec l'eau du bain... Un premier récit de personnages "en rupture" mené sur un bon rythme malgré le peu d'action véritable (demeurent bien entendu les dialogues qui fusent). Un ton, voilé d'une certaine ironie, et un esprit, féminin, féministe, déjà bien trempé.