Arlington Road de Mark Pellington - 1999
Qui eût cru qu'un cinéaste aussi médiocre que Mark Pellington (le poussif La Prophétie des Ombres...) puisse réaliser un thriller aussi malin que ce Arlington Road ? Eh bien si, il peut, et pour notre grand bonheur, voici un petit film sans façon et sans gros moyen, qui vous donne votre dose de suspense et de surprise, et bien au-delà. Ce truc rentre complètement dans l'atmosphère paranoïaque des États-Unis depuis pas mal de temps : on est là dans l'avant-11 septembre, et pourtant la suspicion est partout, chaque petit détail trouble dans le voisinage est pris tout de suite comme une preuve d'attentat à venir, chaque comportement étrange fait de vous un terroriste en puissance. C'est le cas ici : Michael Faraday (Jeff Bridges) est un prof d'histoire spécialisé dans les complots, marqué par la mort de sa femme agent au FBI, flinguée jadis dans une mission absurde. Quand ses nouveaux voisins emménagent (Tim Robbins et Joan Cusack), il faudra très peu de temps pour que grandissent en lui des doutes sérieux sur eux : ne seraient-ils pas des activistes fomentant un attentat ? Pourquoi cachent-ils leur véritable identité ? Qu'est-ce que c'est que ce plan de bâtiment caché dans leur bureau ? Et ces allers-retours en bagnole dans des endroits chelous ? Son môme sympathise avec celui des voisins, eux semblent tout dévoués et conformistes, mais cette façade ne cache-t-elle pas de sombres desseins ? Au gré de ses soupçons, Michael va pénétrer dans un monde très sombre, qui va l’entraîner vers une fin complètement surprenante. Il est rare de voir des films qui savent encore nous étonner dans leur dénouement : là, franchement, si vous arrivez à prévoir la fin, je vous paye un Nuts.
Une goutte de Rear Window, une larme de polar politique façon années 70, un brin d'action à la Friedkin, et vous voilà avec un petit film passionnant, fait avec trois bouts de ficelle mais avec une conviction en son histoire qui fait plaisir. C'est loin d'être parfait, le goût pour les grosses ficelles et pour la lourdeur explicative de Pellington refait souvent surface, mais tout de même : on a là la dissection précise d'un Mal Américain, la paranoïa, et on a même l'impression parfois d'avoir devant nous le cerveau ouvert d'un homme rendu fou par son deuil et ayant développé à cause de son chagrin des théories fumeuses sur tout et tout le monde. Parfois un peu long, parfois démonstratif (la culpabilité de Robbins ne fait aucun doute dès le départ, le caractère positif de Bridges non plus), pas toujours passionnant, le film se laisse pourtant regarder avec un grand plaisir, non seulement parce qu'il nous rappelle le cinéma de papa, celui avec Redford se battant pour faire éclater des vérités, mais aussi parce que la construction du scénario est très habile : Faraday se heurte bien entendu à tous dans ses suspicions, chacun est persuadé qu'il déraille, et nous seuls sommes de son côté, marchant avec lui dans sa recherche de la vérité. C'est une des grandes qualités du film : nous laisser au niveau de son personnage, qui semble découvrir les choses au même rythme que nous. Quelques scènes très paranoïaques sont particulièrement bien écrites : celle où Cusak discute avec la fiancée de Michael, dans un dialogue à double-sens d'une ambiguïté troublante et parfaitement interprété ; celle où Michael, convaincu de la dangerosité de ses voisins, se retrouve dans une fête organisé par eux, qui savent qu'il sait ; ou encore cette fin diabolique, nihiliste, d'une noirceur totale, qui va à l'encontre de tout ce qu'on attend. Voilà qui fait oublier les quelques longueurs et les clichés ponctuels : Arlington Road est un vrai bon petit thriller de derrière les fagots. Respects.