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8 décembre 2020

Généalogies d'un crime de Raoul Ruiz - 1997

vlcsnap-2020-12-06-21h50m55s033

La plus triste disparition de cette année (avant même Giscard) fut sans conteste celle de Piccoli, nous nous devions donc de clôturer 2020 avec un hommage en bonne et due forme. Ce ne sera malheureusement pas avec le film le plus facile du monde, on n'en demande pas tant à Raoul Ruiz. Le compère réalise ici un film-puzzle, un labyrinthe parfois réjouissant mais souvent bien bien chiant, dans le but de rendre hommage aux multiples possibilités du cinéma quand il s'agit de brouiller les cartes scénaristiques et de les redistribuer à l'envi. Dès le départ on sent qu'on n'est pas là dans la logique la plus totale : Solange (Deneuve), avocate habituée aux échecs, est chargée de défendre un jeune criminel (Poupaud) accusé d'avoir tué sa tante. Elle est entravée par un mystérieux adepte d'une secte cryptique (Piccoli), la Société de psychanalyse franco-belge, lui même en concurrence avec une autre société, la SPIF. La méthode de Solange ne manque pas d'originalité : elle propose à l'assassin d'échanger leurs rôles. Ce jeu conduit peu à peu Solange à mener un jeu glissant et troublant, où elle va elle-même devenir la tante de René, et où de toute façon toutes les identités vont voler en l'air. Au bout de 30 minutes de film, on ne sait plus qui est qui, et on se contente de regarder ces acteurs jouer avec les personnages tels des jongleurs, et les séquences s’enchainer sans logique.

genealogie03

Ruiz offre sa propre vision de la psychanalyse par le prisme du cinéma. Sur ce socle branlant, il construit une non-intrigue parfois assez surprenante et jouissive : se désintéressant du sens de son film dans son ensemble, il a tout loisir de se concentrer sur les séquences, qui forment finalement un tout en elles-mêmes. A ce jeu, Deneuve et Piccoli excellent, complètement dans le plaisir du jeu. La longue scène de reconstitution du meurtre à travers un miroir sans tain est une école de jeu d'acteur : si on remarque que Piccoli est souvent en impro, pas vraiment dirigé par Ruiz, sa fantaisie et son génie transforment ce mystérieux personnage en homme foutraque, fantaisiste, inquiétant, aux frontières du grand-guignol ; Deneuve, beaucoup plus maîtrisée, arrive à faire passer la plus petite émotion sans pratiquement rien faire, c'est magistral. Les seconds rôles qui les entourent sont tous très attachants, de Poupaud qui change de coiffure toutes les deux minutes à Amalric à ses débuts, petite frappe perverse assez marrante, de Bernadette Lafont en "maîtresse des clés" ambiguë à Patrick Modiano (!) en père sous coke complètement improbable. Bon, il est vrai que sur la longueur, le film perd un peu d'intensité : à force de nous montrer que tout et n'importe quoi peut se produire, Ruiz finit par nous lasser de ses élucubrations psychologico-poético-psychédéliques, et le film est sûrement trop long d'une demi-heure. On a parfois l'impression d'un délire littéraire genre nouveau roman, ou d'un hommage au cinéma trop appuyé. Peut-être aussi s'agit-il d'un jeu sur ces deux acteurs eux-mêmes, incités à reprendre quelques figures incontournables de leur jeu pour les requestionner, les transformer en une nouvelle forme.On ne sait pas trop, et j'avoue avoir été souvent largué par cette histoire barrée. Ce qu'il m'en reste, c'est un amusement constant de la part de tout le monde, et quelques fulgurances au milieu d'un univers un peu trop onirique pour convaincre. Un cinéma encore et toujours frondeur, en tout cas, un vrai style.

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Piccols sur Shangols

Commentaires
C
Tout à fait d'accord avec les qualités que vous relevez, pas du tout avec les défauts. Le film ne me paraît obscur qu'au premier abord et au bout de la troisième fois (tout de même), on peut y trouver une logique... Je le trouve extraordinaire, comme beaucoup de films de Ruiz...<br /> <br /> <br /> <br /> Tout le film ne parle que d'interprétation : en droit par les juges et les avocats, en psychanalyse par les savants fous (et savantes folles) du film, en psychologie par Christian Corail (qui semble psychanalyste mais avec de tout autres idées que Piccoli et sa secte)... donc le film va offrir lui-même des interprétations contradictoires de ses péripétie, notamment en faisant semblant d'adhérer à la thèse de Corail que nous sommes le produit, ou sous l'influence, d'histoires, réelles ou littéraires, qui nous ont précédé.<br /> <br /> <br /> <br /> Pendant un long moment, on croit que le mystère principal, c'est René (pourquoi a-t-il tué ? est-il un monstre ?), mais non, c'est Solange (ne serait-ce que parce que René a tué pour empêché Jeanne de le dénoncer à la police, c'est donc crapuleux, et c'est tout) et le meurtre final de René. Il faut changer ce point de vue, comme Solange commence une mayonnaise et finit par une vinaigrette. Au moins deux possibilités selon le thèse de Corail :<br /> <br /> <br /> <br /> 1) Solange est sous l'influence du conte oriental qu'elle lit au début du film énoncé en voix off, où c'est le fantôme qui revient venger la victime: elle s'identifie à Jeanne dans les retours en arrière où Solange lit son journal, elle a le même jeu avec qu'elle avec René, etc.<br /> <br /> <br /> <br /> 2) Solange est aussi sous l'influence de l'histoire de René et beaucoup de choses l'identifient à lui et elle en a conscience. Toujours le jeu d'échange d'identités mais aussi son histoire personnelle, sa mère lui rappelant qu'elle tuait des chatons, qu'on ne savait pas comment elle finirait, Solange disant qu'elle aurait peut-être tué sa mère<br /> <br /> <br /> <br /> 3) Le film joue consciemment de la fantaisie de la thèse de Corail qui nous inscrit dans l'Histoire et l'histoire de la littérature, exprimant le pouvoir du passé et de la fiction... Il la fait appuyer par d'autres personnages : René parlant de la confiture de morts ("hmm... tueuse") dit encore le poids du passé sur nous, si on mange nos morts, sauf que là ce n'est pas pour s'approprier leur force et leur courage...<br /> <br /> <br /> <br /> Corail dit cependant parfois n'importe quoi, le personnage de Piccoli, le Socrate de notre époque, c'est super drôle ; Balzac et Musil pour l'avocat, ah bon... mais en il cite explicitement Robbe-Grillet (et vous avez raison d'évoquer le Nouveau Roman) et le jeu d'échange d'identités et des confusions me paraît bien digne des Gommes... <br /> <br /> <br /> <br /> Finalement, quelle explication le film donne-t-il au meurtre de René par Solange ? Ce plan très fort où Solange petite fille donne le couteau à Solange adulte pour tuer... Solange petite ne peut pas être sous l'influence consciente des deux histoires précédentes, découvertes à l'âge adulte, ce serait une pulsion meurtrière que Solange a depuis petite, mais le film n'essaie pas de dire pourquoi...
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