Généalogies d'un crime de Raoul Ruiz - 1997
La plus triste disparition de cette année (avant même Giscard) fut sans conteste celle de Piccoli, nous nous devions donc de clôturer 2020 avec un hommage en bonne et due forme. Ce ne sera malheureusement pas avec le film le plus facile du monde, on n'en demande pas tant à Raoul Ruiz. Le compère réalise ici un film-puzzle, un labyrinthe parfois réjouissant mais souvent bien bien chiant, dans le but de rendre hommage aux multiples possibilités du cinéma quand il s'agit de brouiller les cartes scénaristiques et de les redistribuer à l'envi. Dès le départ on sent qu'on n'est pas là dans la logique la plus totale : Solange (Deneuve), avocate habituée aux échecs, est chargée de défendre un jeune criminel (Poupaud) accusé d'avoir tué sa tante. Elle est entravée par un mystérieux adepte d'une secte cryptique (Piccoli), la Société de psychanalyse franco-belge, lui même en concurrence avec une autre société, la SPIF. La méthode de Solange ne manque pas d'originalité : elle propose à l'assassin d'échanger leurs rôles. Ce jeu conduit peu à peu Solange à mener un jeu glissant et troublant, où elle va elle-même devenir la tante de René, et où de toute façon toutes les identités vont voler en l'air. Au bout de 30 minutes de film, on ne sait plus qui est qui, et on se contente de regarder ces acteurs jouer avec les personnages tels des jongleurs, et les séquences s’enchainer sans logique.
Ruiz offre sa propre vision de la psychanalyse par le prisme du cinéma. Sur ce socle branlant, il construit une non-intrigue parfois assez surprenante et jouissive : se désintéressant du sens de son film dans son ensemble, il a tout loisir de se concentrer sur les séquences, qui forment finalement un tout en elles-mêmes. A ce jeu, Deneuve et Piccoli excellent, complètement dans le plaisir du jeu. La longue scène de reconstitution du meurtre à travers un miroir sans tain est une école de jeu d'acteur : si on remarque que Piccoli est souvent en impro, pas vraiment dirigé par Ruiz, sa fantaisie et son génie transforment ce mystérieux personnage en homme foutraque, fantaisiste, inquiétant, aux frontières du grand-guignol ; Deneuve, beaucoup plus maîtrisée, arrive à faire passer la plus petite émotion sans pratiquement rien faire, c'est magistral. Les seconds rôles qui les entourent sont tous très attachants, de Poupaud qui change de coiffure toutes les deux minutes à Amalric à ses débuts, petite frappe perverse assez marrante, de Bernadette Lafont en "maîtresse des clés" ambiguë à Patrick Modiano (!) en père sous coke complètement improbable. Bon, il est vrai que sur la longueur, le film perd un peu d'intensité : à force de nous montrer que tout et n'importe quoi peut se produire, Ruiz finit par nous lasser de ses élucubrations psychologico-poético-psychédéliques, et le film est sûrement trop long d'une demi-heure. On a parfois l'impression d'un délire littéraire genre nouveau roman, ou d'un hommage au cinéma trop appuyé. Peut-être aussi s'agit-il d'un jeu sur ces deux acteurs eux-mêmes, incités à reprendre quelques figures incontournables de leur jeu pour les requestionner, les transformer en une nouvelle forme.On ne sait pas trop, et j'avoue avoir été souvent largué par cette histoire barrée. Ce qu'il m'en reste, c'est un amusement constant de la part de tout le monde, et quelques fulgurances au milieu d'un univers un peu trop onirique pour convaincre. Un cinéma encore et toujours frondeur, en tout cas, un vrai style.