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2 décembre 2020

Snake Eyes de Brian de Palma - 1998

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Entre 1989 et 2000, de Palma enchaîne les chefs-d'oeuvre, au top du top de la maîtrise et de l'équilibre entre profondeur du scénario et fulgurances visuelles. Snake Eyes ne faillit pas à la règle : c'est une pure merveille si vous vous intéressez un peu aux théories du cinéma, et c'est en plus un brillant divertissement, malgré une fin assez catastrophique et un Nicolas Cage qui était là au début de la pente qui le mènerait en enfer. De Palma reprend ses réflexions entamées avec son plus grand film (Blow out), sur les pouvoirs du regard, la puissance de l'imagination et l'importance du décryptage des images pour obtenir la vérité. En gros : la première scène, tournée en plan-séquence acrobatique, dure 10 minutes ; et le reste du film ne consistera qu'en sa déconstruction, puisque viendront s'y greffer d'autres scènes, des contre-champs, des re-filmages aux cadres différents, des glissements de points de vue, des prises d'autres caméras, qui viendront en démentir l'aspect parfait et en faire surgir la vérité. Si la première séquence est entièrement vue du côté de Rick Santoro, flic borderline plus passionné par la boxe que par son taf, le reste écartera le regard pour nous rendre notre subjectivité de spectateur, et l'écartera tellement qu'on en arrivera à un regard quasi-mystique, divin, omniscient, représenté par une caméra aérienne mobile qui saisira enfin ce qu'il fallait saisir.

Snake_eyes_1

Au cours d'un match du championnat du monde de boxe, le secrétaire à la Défense est assassiné sous les yeux de Santoro (Nicolas Cage) et ceux de son collègue Kevin Dunne (Gary Sinise). Une sorte de chaos d'actions et d'interrogations nous est présenté : qui est cette rousse fatale qui a fui au dernier moment ? cette blonde perruquée qui semblait échanger des messages secrets avec le politique juste avant le coup de feu  ? ce supporter un peu trop démonstratif ? pourquoi le champion du monde a truqué sa défaite ? Que faisait le staff sportif derrière cette porte qui s'est refermé devant Rick ? Tout va tellement vite dans cette première scène qu'on ne capte que quelques éléments mystérieux, tout comme Santoro qui ressort de cet attentat hébété. De Palma entame alors un lent décorticage de cette séquence initiale : à force de revenir sans cesse sur l'évènement traumatique, Nick, et le spectateur à sa suite, va découvrir un vaste réseau complotiste, et rien de ce qu'on croyait acquis au bout de ces 10 minutes ne s'avèrera réel.

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On connaît la passion de de Palma pour la pure théorie, pour la puissance du cinéma, pour son aspect inconscient, lui qui n'a eu de cesse de fabriquer des mises en scènes formelles qui creusaient le sillon de thématiques passionnantes : le point de vue, le sens du montage, le rapport entre vérité et fiction, le méta-langage,... Snake Eyes est de ce point de vue son film le plus abouti. C'est comme si on enquêtait aux cotés de Cage, découvrant en même temps que lui la vertu de la mise en scène et les arcanes du mystère. Comme Hitchcock dans le très sous-estimé Bon Voyage, il montre que filmer très différemment un plan, écarter de quelques centimètres le champ, peut dévoiler une vérité extraordinaire qu'on n'aurait pas vue sans ça. Le simple grain de l'image (on voit la même scène à travers une caméra de cinéma, puis de télé, puis de surveillance), ou le simple travail sur la durée (où couper un plan ?) peut également devenir décisif dans la résolution de l'enquête. Le fait que tout ça se déroule dans les ors sophistiqués d'un casino lors d'un match de boxe prolonge encore le discours, et l'ouvre sur une critique de la société du spectacle et de la politique corrompue par le fric, par le mensonge, par la falsification. Théories fascinantes et concrètement mises en scène, dans une réalisation baroque, grandiloquente, spectacularissime, sans cesse en mouvement, sans cesse pop et fun, presque opératique sur la fin, quand la tempête se déchaîne et résout tous les dilemmes. Certes, on peut être saturé à force par l'énergie dévastatrice et presque inquiétante du film ; il n'est d'ailleurs vraiment passionnant que dans ses deux premiers tiers, la fin se traînant en longueur (on voit bien que de Palma n'en a rien à foutre de son enquête). Mais ces deux tiers sont miraculeux, jouissifs, passionnants. De Palma est définitivement un très grand.

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Des Palmes pour De Palma

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