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28 novembre 2020

Petite Fille de Sébastien Lifshitz - 2020

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Comment critiquer un film aussi bienveillant, aussi humain, aussi rempli de bonnes intentions, et aussi complexe dans son sujet, sujet qu'il faudrait être un monstre pour en mettre en doute le bien-fondé ? Je ne sais pas, mais j'ai du début à la fin de Petite Fille été rempli de gêne. Et je vais peut-être me faire insulter, peut-être vais-je devoir faire mon coming out de brute épaisse, peut-être suis-je complètement tombé dans le cynisme total, mais voilà : j'ai trouvé le film très discutable, et même un peu douteux. Le sujet donc : Sacha, 7 ans, petit garçon né dans une famille nombreuse et relativement classique (comprenez mère dominatrice et père absent) a depuis toujours l'impression qu'il est en fait une fille. Trouble identitaire dans lequel la mère s'engouffre ; pour elle il n'y a pas de doute, Sacha est une fille, et elle est prête à se battre pour faire reconnaître la chose. Quitte à se heurter à une institution (école, cours de danse, société en général) qui lui oppose une fin de non-recevoir. La voilà donc partie en croisade pour que Sacha soit acceptée en tant que fille dans son école, puisse porter des robes et entamer enfin un processus de transformation endocrinienne durable.

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Le film est parfois émouvant, quand il se contente par exemple de filmer cette enfant dans sa solitude, en train de danser ou de jouer, ou quand il refuse la mise en scène, se contentant de laisser tourner pour capter quelques belles paroles (celle du père, ou celle de la grande sœur). Mais ces jolies tendances sont gâchées par une réalisation un brin putassière qui en annule tous les effets : une musique roublarde et illustrative destinée à vous tirer des larmes coûte que coûte (Debussy ou Vivaldi, c'est émouvant même si on filme une huître), scènes très binaires pour nous expliquer les choses (le frère qui joue au ballon parce que c'est un garçon, Sacha qui regarde La Reine des neiges parce que c'est une fille), quasi-manipulation de ses personnages pour aller traquer l'émotion. Difficile de rester de marbre face aux petites larmes de cette môme perdue et rejetée par tous, ou devant cette mère Courage en lutte contre la société. On pleure bien entendu, puisque tel était l'effet voulu, en plus de l'autre motivation du film : nous éduquer, nous faire comprendre ce qu'est la "dysphorie de genre", et nous faire entendre que cette femme a raison contre tous.

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Mais justement c'est là que tout ça est un peu gênant. La mère, omniprésente à l'écran, confisquant souvent la parole à sa fille qu'on n'entend presque pas, apparaît peu à peu (et, je pense, contre la volonté de Lifshitz) comme une sorcière un peu machiavélique. Dès le départ, avec cette curieuse idée qu'elle s'est mise en tête d'avoir troublé Sacha en désirant coûte que coûte une fille alors qu'elle était enceinte, on a l'impression d'être face à une femme adepte de la magie noire. Et peu à peu le doute grandit : et si c'était son délire à elle de voir en Sacha une fille ? si une simple remarque de l'enfant, ou quelques tendances à aimer plus les choses féminines que masculines (et après tout elle a le droit) avaient provoqué ce combat qui ne concerne qu'elle ? En l'absence des autres membres de la famille (écrasés par la mère, et qui n'ont que très peu la parole), en l'absence aussi d'avis contradictoires (pas d'interview du directeur d'école qui refuse de considérer Sacha comme une fille par exemple), le film nous impose la vision de la mère, qui est aussi celle de Lifshitz. Pourtant, on sent que tout n'est pas si simple dans cette façon de filmer toujours la mère et la fille dans un dispositif très intime, au plus près, les enfermant dans leur duo ; ou cette manière qu'a Sacha de toujours chercher l'assentiment de la mère dans tout ce qu'elle dit. La mère est finalement le personnage principal du film, et on est en droit de se demander si toute cette histoire n'est pas celle de l'obsession d'une femme plus que celle du trouble de personnalité de son enfant. Elle va même jusqu'à lancer un programme de médication endocrinologique... envers une enfant de 7 ans... En gros on a l'impression que si problème il y a, il émane d'elle plus que de sa fille, qui n'a pour seule tendance que d'aimer porter des robes et jouer à la Barbie. Le film, beaucoup trop préoccupé par son efficacité, passe à côté du sujet, ou le traite mal, se contentant de faire pleurer pour nous empêcher de réfléchir, nous disant d'avance quoi penser, comment le penser et de quel côté est le Bien. Dérangeant, de toute évidence...

Commentaires
G
Bravo pour ce texte, qui fait tache dans le déluge d'applaudissements baignés de larmes qui a accueilli ce film honteusement manipulateur.
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H
Merci d'apporter un autre regard. Ce film m'a moi aussi mise mal à l'aise. Très émouvant mais très partial, et pas sûr du coup que Sasha se soit senti(e) fille vraiment ou que les "ce que tu es vraiment", "parce que tu es ...?" De sa maman ne l'influencent pas profondément. Peut être Sasha est-elle une fille, dans ce cas c'est la réalisation qui pêche en ne donnant pas la parole à l'école....
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R
Ouf ! Enfin quelqu'un qui réagit en parlant du malaise ressenti devant ce film très inquiétant. Qu'est-ce qu'on veut nous faire croire avec cette histoire larmoyante qui tourne au conte de fée : "la petite fille perdue au milieu d'une forêt ténébreuse remplis de loups-garous, mais sauvée toujours in extremis par sa maman fée" ?<br /> <br /> Merci !
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L
Votre chronique est un soulagement. En effet, on sent dans le film comme une injonction à être d'accord, dès le titre… Émouvant, forcément (le gros chagrin d'un enfant…). Mais dans les (rares) interstices, pointe un malaise. (Vous trouverez un avis plus détaillé sur allocine.fr, signé LeAdB).
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C
Chronique formidable. Je l'ai fait lire à ma compagne, elle est du même avis. Bravo encore !
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