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24 novembre 2020

Casino de Martin Scorsese - 1995

casino_1995_01_0

Je sais que ça va faire hurler les tenants d'un cinéma plus sobre et plus fin, mais je trouve que Casino est un des deux sommets de l'oeuvre de Scorsese (l'autre étant Raging Bull). Arriver à une telle maîtrise des possibilités de son art, en utiliser tous les moyens, y compris les plus hasardeux et les plus risqués, force le respect, et je viens de revoir la chose absolument bouche bée devant les audaces formelles qui passent comme de rien, les jeux avec la mise en scène qui entrent immédiatement dans la catégorie "effets de style classiques", l'assurance de la vision scorsesienne sur les effets que feront ses figures acrobatiques sur son public. Jamais Scorsese ne se sera montré à un tel niveau d'invention dans la mise en scène et le montage, et si, bien sûr, on peut trouver qu'il en fait trop, que c'est mégalo et trop formel, on ne peut qu'applaudir devant les 3000 idées par plan que le gars déploie ici, toutes pertinentes et spectaculaires, toutes intelligentes et la plupart révolutionnaires.

Casino-Feature-Image

On dirait que le film est construit d'un seul tenant, pas constitué de séquences séparées, mais d'une seule qui s'étire sur les trois heures. C'est la grâce du montage, hallucinant, aussi bien des plans que de la bande-son, qui relie tout en un seul mouvement, un peu comme en musique classique. Scorsese et Schoonmaker mêlent voix off (plusieurs personnages s'expriment tour à tour, mais pourtant la cohésion du regard est totale), musique (8000 morceaux à vue de nez, des Stones à Delerue et à Bach) et images pour fabriquer une sorte de flux continu, sensoriel, qui fait éprouver l'histoire qui nous est racontée bien plus qu'elle n'essaye de lui donner une cohérence chronologique. La chronologie, d'ailleurs, est envoyée aux orties, car même au sein de cette impression de plan-séquence infini, Scorsese se permet de raconter dans le désordre, de jouer avec les temporalités et les ruptures de rythme. Le tout pour narrer une histoire de gangsters désormais classique chez lui : il l'a déjà fait, avec les mêmes acteurs d'ailleurs, dans Les Affranchis, et il repique au truc, en y ajoutant toutefois une petit côté tragédie qui fait son effet. L'ascension de Ace Rothstein (Robert De Niro), criminel patenté et escroc notoire, à la tête du Tangier's, casino luxueux de Las Vegas, ses relations tendues avec son épouse vénale et légère (Sharon Stone), ses rapports avec le fou de la gâchette qu'il a choisi comme gardien de ses intérêts, Nicky Santoro (Joe Pesci) : rien que de l'habituel sous la caméra du bon Martin, qui s'amuse beaucoup à doper la violence, à charger chaque séquence en tension, et à regarder ce petit monde des voyous grand crin s'effondrer pour laisser place aux Grand Libéralisme Mondial. L'histoire est fascinante, pleine de tensions et de coups de pute, les personnages sont prodigieux, les acteurs au-delà du génie (Stone particulièrement, mais De Niro et Pesci sont parfaits), mais ce n'est pas là que le film est vraiment grand.

duo-casino

C'est plutôt encore une fois dans le montage de tout ça qu'on est sidéré : les plans se terminent par de larges et rapides mouvements de fuite hors-champ, qui permettent de les raccorder au suivant dans le même mouvement ; au sein d'un plan, il peut y avoir un remontage, un recadrage qui occulte un mouvement, qui tout à coup accélère une action ; certains ne durent que deux secondes, pour faire entendre juste un cri ou faire entrevoir un visage décomposé, et on comprend tout de suite de quoi il est question ; certaines séquences sont montées sur une musique en hiatus, comme ce type qui se fait flinguer dans sa maison sur une musique joyeuse (et dans une mise en scène qui évoque le Scarface de Hawks, d'ailleurs) ; certains dialogues peuvent s'étirer plus que de raison et enchaîner sur une série de plans cut très rapides ; ce ne sont que quelques-unes des milliers d'invention formelles tentées dans ce film. Scorsese, après 15 films, retrouve le goût du jeu et du risque dans une mise en scène révolutionnaire, qui, c'est vrai, ne marche pas à chaque fois (c'est le danger de ce type d'audace), mais bluffe la plupart du temps. Plutôt que de se reposer sur ses lauriers, il tente de nouvelles choses, et réalise une magnifique symphonie où chaque élément semble miraculeusement à sa place, des vestes colorées de De Niro à la petite notation musicale des Animals, des minuscules détails de jeu de Stone au travelling en plan-séquence destiné à suivre le parcours de l'argent de la pègre (le film est très très mobile). On ressort de ce film ébouriffé, avec la sensation d'avoir traversé un ouragan, avec l'impression d'un désordre impeccablement rangé pour ainsi dire. Et avec la conviction que Scorsese (et Schoonmaker au montage, véritable héroïne du film) a su se mettre en danger à un moment-charnière de sa carrière, et que ça, il y en a peu qui auraient osé. Je sens que ça va se déchaîner dans les commentaires, mais j'assume : Casino est un chef-d'œuvre.

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Commentaires
M
Hurler ? On soupire plutôt de pitié. <br /> <br /> Ou on rigole, parce que c'est évidemment une blague, hein ?<br /> <br /> What else ?
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