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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
12 novembre 2020

Berberian Sound Studio de Peter Strickland - 2012

BSS2

Un film d'horreur qui ne contient strictement aucune image horrible, aucun fantôme, monstre, zombie ou vampire, aucun effet à la gomme, aucune scène flippante, il fallait oser ; Strickland s'en est chargé, et il faut reconnaître qu'il s'en sort avec beaucoup de panache. Pour ce faire, il revient à la base : un film d'horreur passe avant tout par le son, tous les amateurs des grognements de la créature de Frankenstein, des meurtres à la lame de Nightmare on Elm Street ou des gémissements de gorge de The Grudge vous le confirmeront. Le film raconte donc les difficultés d'un ingénieur du son intello à mixer l'horrible bande-son d'un film d'horreur italien de série Z, surtout à base d'éviscérations de sorcières, de noyades dans l'acide et de viol au tison ardent... Le gars est plutôt introverti, et sa confrontation avec ces scènes répugnantes qu'il doit bruiter le plonge peu à peu dans un univers sordide, où fantasme et réalité se confondent, où le metteur en scène va peu à peu prendre l'empire sur lui, et d'où il semble qu'il ne puisse pas s'échapper autrement qu'avec un ticket direct pour l'asile. Les différents fruits et légumes explosés pour les fracassages de têtes, les hurlements des comédiennes qui se succèdent au micro, les triturations de musique stridente, tout ça lui vrille les neurones, et il va devoir bientôt faire face à ses propres démons pour garder sa santé mentale... ou pas. Où commence le cinéma et où finit la réalité ? Notre ami Gilderoy se pose la question, et le film lui-même avec, puisque celui-ci va se retourner comme un gant et devenir, dans une sorte de méta-exercice de style parfaitement psychédélique, la vie elle-même du héros.

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Toute la virtuosité de Berberian Sound Studio est de nous raconter ça depuis la petite cabine de prise de son de ce studio. Jamais aucune image du fameux film d'horreur ne sera montrée ; mais à la place une cascade de sons affreux vient supléer l'horreur : la suggestion dans son état pur. Une voix off nous indique ce qu'on est censé voir, et le son fait le reste. Strickland tient jusqu'à la fin son dispositif très cérébral et très émotionnel en même temps. Aidé par un comédien vraiment bon dans ses réactions face à ces images insoutenables (Toby Jones), il induit dans notre esprit ce qu'il y a de repoussant dans les images qu'on voit, et c'est presque plus horrible que de voir réellement. On pense bien sûr à Blow Out, mais aussi au travail de Herzog sur ses fims documentaires, lui qui sait à merveille manipuler la moindre image banale par la voix et le son et en faire un plan spectaculaire. En tout cas, une telle confiance dans l'imagination du spectateur fait chaud au coeur : voilà un film qui ne nous prend pas pour des cons, qui sait que ce qui est contenu dans notre cerveau surpassera toujours les scènes les plus horribles qu'on pourra lui proposer.

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Véritable réflexion sur le genre donc, mais aussi brillant exercice de style : quand le film projeté à Gilderoy devient celui que nous sommes en train de regarder, par un retournement purement cinématographique (la brûlure de pellicule comme frontière entre notre santé mentale et notre folie), on est bluffé par l'intelligence du film, et on finit par se laisser entraîner tout comme le héros dans une spirale assez vertigineuse. Peu importe que le film ait quelques défauts, dans les seconds rôles notamment, ou dans sa volonté de vouloir traiter d'autres sujets moins palpitants (son aspect lynchien ne tient pas, par exemple, ni ses variations sur l'exploitation sexuelle des actrices) : il est suffisamement fascinant dans son amour inconditionnel du cinéma pour qu'on les oublie et qu'on applaudisse très fort ce film intelligent, dérangeant et savoureux.

entete

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