Un Ennemi du Peuple (Ganashatru) (1989) de Satyajit Ray

 

Ray adapte Ibsen pour une histoire à la Erin Brockovich (!) : un docteur décide, via la presse, d'alerter les habitants d'une ville touristique que l'eau du temple contient des bactéries... Une simple mission de santé publique en somme... C'est oublié que les intérêts derrière sont immenses : la ville est un pôle d'attraction de plus en plus reconnu, en particulier grâce à ce nouveau temple qui attire de plus en plus de fidèles ; le frère du Docteur Gupta, qui travaille à la mairie, le met en garde : aucun scandale ne peut venir entraver le développement de la ville ; le politique, soutenu qu'il est par le cénacle des puissants (un investisseur en particulier), ne veut pas entendre parler d’un quelconque risque d’épidémie (…). Ce frère félon ne tarde pas à mettre des bâtons dans les roues du fameux docteur, tentant de persuader les croyants et les propriétaires du journal que ces fameuses "déclarations scientifiques" ne relèvent que de la pure rumeur. Gupta est dépitée et on le serait à moins.

On est dans une œuvre sous influence théâtrale indéniable, à l'esthétisme et au décor sobres : des discussions de salon pour l'essentiel et des champs / contre-champs le plus souvent de rigueur comme pour mieux enfermer chacun dans son cadre comme dans sa position (Gupta, sa femme, sa fille, le futur mari d'icelle, un assistant de rédaction dans le camp des « socio-progressistes » ; le frère de Gupta, l'investisseur, le rédacteur du journal dans celui des libéraux). C'est un combat de mots qui se met en place et qui, après s'être passé dans un premier dans les "couloirs" (le salon de Gupta, le bureau du journaliste), éclate en plein jour et en public : Gupta, privé de voir son article paraître dans la presse, convoque une réunion publique pour exposer le problème ; seulement son frère, toujours à l'affût, est bien décidé à lui pourrir sa conférence : il est en effet prêt à user des arguments les plus fourbes (le fait notamment que son frère ne fasse pas franchement preuve de zèle dans sa pratique religieuse) pour jeter sur lui un maximum de discrédit : le combat du populisme à tout crin contre la raison, la science, la santé ; ou comment l'argent peut faire d'un sage, d'un docte, un ennemi du peuple. On se concentre bien entendu sur cette bataille de mots, avec un Gupta, humble, timoré, pas vraiment habitués aux manœuvres politiciennes face à son frérot, beau parleur, charismatique, habile dans l'art du chantage et dans celui de la manipulation. Gupta risque bien de se faire manger tout cru par ce barbu qui s'impose autant "à l'image" (ce plan magnifique où il fume le cigare au premier plan pendant que le journaliste et Gupta sont relégués au second plan) que face à une foule (il te chipe le micro de la bouche de Gupta et manie l'art de la calomnie comme tout bon politique). Gupta, dans ce maigre décor, apparaît encore plus abattu lorsqu'il sent que son frère a pris l'ascendant sur lui... Mais qui dit Ray, dit soleil, et l'obscurantisme et le fric sont loin d’avoir gagné la bataille. Un concept cinématographique a minima mais des petites joutes verbales de toute beauté, qui montent en puissance, et déclamés par des acteurs plus vrais que nature. Ray, éveilleur de conscience, sans avoir à forcer son talent.

Comments

[Mitch Ib...Ib...]

Il existe de "Un Ennemi du peuple", une version de et avec Steve Mc Queen. Son dernier film, je crois ( où il était assez méconnaissable, chevelu, barbu). Un brin ennuyeuse et un poil pompeuse. Souvenir lointain de bavardages plutôt longuets... Et notamment du final, un long travelling arrière sur la personne du docteur qui, lui, avançait face caméra, les villageois en ligne, façon passage du Tour du France. Ou "Urgences" (que je n'ai jamais vu, j'avoue.). Ou quadrille du Jour de l'An à Vienne (jamais vu non plus. Y a des mythes, comme ça...)

Le film de Ray est sûrement plus intéressant et subtil.

Le Steve Mc Queen n'est qu'une curiosité.