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Shangols
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21 octobre 2020

LIVRE : Les Dynamiteurs (The Dynamiters) de Benjamin Whitmer - 2020

9782351782293,0-6768043Non mais quel bonheur de retrouver la plume trempée d'hémoglobine de ce maître du noir aux petits oignons. J'avais déjà été emballé par Evasion, et vous me voyez tout aussi ému, transporté, brinqueballé, bousculé, passionné par Les Dynamiteurs, qui joue pourtant dans une cour plus sensible, plus mélancolique en apparence. Ça raconte le Denver des gangsters de la fin du XIXème siècle, avec sa misère totale, ses flics pourris, ses putains trash, ses rues dégueulasses et ses enfants perdus. Parmi eux, habitant dans une usine désaffectée qu'ils ont fait leur, il y a toute une bande d'orphelins et de chatons abandonnés de tous, qui ont trouvé refuge sous l'aile des deux mères-poules de la maison : Cora, véritable boule de tendresse et de protection, et Sam, "l'homme de main", celui qui éloigne les fâcheux. Mais quand démarre le roman (et il démarre véritablement sur les chapeaux de roue, rythme qu'il ne perdra jamais), débarque Goodnight, une sorte d'ogre muet, un géant rempli de secret, dont la moitié de la tronche a été arrachée lors de manipualtion de nitroglycérine ; car Goodnight est un dynamiteur, un bandit sans affect qui va peu à peu entraîner Sam dans le monde de la violence totale, de la lutte contre les flics, de l'anarchisme, en gros dans le monde des "Crânes de noeuds", entendez les adultes. Ce monde, qui fait horreur à Sam et à sa bande, l'attire pourtant irrémédiablement ; il va petit à petit y pénétrer, sous la férule de Goodnight et de son complice, et abandonner toute trace d'innocence, de pureté, ainsi que son amoureuse Cora.

C'est peu de dire que le roman est trash. Chaque chapitre, court, raconté rapide et rythmé, comporte au moins ses trois cadavres, tous décédés dans les circonstances les plus violentes possible. Les dynamiteurs agissent comme si le monde était à eux, renchérissant dans les défis qu'ils lancent aux flics, rivalisant de brutalité dès que quelqu'un se met sur leur chemin. Aucune loi, aucun interdit : ça charcle dans tous les sens. Et bien sûr, la spirale est enclenchée dès le départ et on sent bien qu'on ne va pas vers la lumière, mais au contraire dans le plus noir du noir. Aucun espoir en effet dans ce roman, qui, quand il parle d'amour, en parle comme de la perte, de la déception, de la mort ; qui, quand il parle de la joie, en parle comme du sadisme. La promenade sanglante de ce trio est jonchée non seulement des cadavres des types qui se sont opposés à eux, mais aussi de ceux des femmes qu'ils laissent, de l'innocence perdue. Et c'est bien à l'enfance que s'intéresse finalement Whitmer dans ce livre très douloureux, très "requiem pour une pureté gachée" : Sam est condamné à devenir un adulte, et le devenir dans ces années-là à Denver quand on a rien en poche, c'est devenir un monstre, un bourreau. Le personnage est splendide, et Whitmer raconte sa vie à cheval enre Dickens (pour le petit monde des enfants qui s'organise, pour l'aspect conte de fées) et Poe, pour la noirceur et l'absence d'espoir de la trame. L'écriture, absolument magnifique, rend avec force la grande tristesse du texte, tout en nous donnant des giclées d'adrénaline à intervalles réguliers (toutes les trois pages à vue de nez). Et on regarde bouche bée l'effondrement de ce monde, comme une petite apocalypse. Le livre est miraculeux dans son rythme, dans sa grande sensibilité, dans le regard terrible qu'il pose sur les adultes qui sacrifient les enfants ; et il est aussi un grand bouquin d'action, fun et palpitant, plein de suspense. Whitmer est un grand, deuxième coup de coeur total de cette rentrée (après Mauvignier)...   (Gols 10/10/20)


0ffe37b_659239688-OpaleplusGols m'avait mis sur la voie et je dois reconnaître que cela fait sacrément du bien de lire un bouquin sans intellectualisme primaire, sans morale bas de plafond, et tout simplement avec du style, un vrai : chaque comparaison de Whitmer est un vrai petit bonheur en soit et Djian devrait repuiser de l'inspiration dans ces images impossibles et drôlissimes. Etrange, en effet, en lisant ce bouquin purement ricain, de penser au monde foisonnant d’un Dickens, aussi bien, comme le disait Gols, par l'évocation de ces enfances orphelines que par la création de ces personnages hauts-en-couleurs ; chaque individu est dessiné en deux lignes par l'écrivain qui parvient à leur donner une existence, une profondeur, comme s'il était capable en deux coups de pinceau d'animer tout ce petit monde louche de Denver. On en a également pour notre argent au niveau de l'action et l'on se plaît à imaginer une adaptation cinématographique la plus gore possible au vu de tous ces corps qui explosent, comme si toute mort devenait un feu d'artifice d'hémoglobine. Les flics comme les gangsters connaissent des ultimes instants pour le moins douloureux et Whitmer possède là encore une véritable puissance d'évocation pour que ces scènes, écrites dans le sang et par le sang, deviennent tangibles, concrètes. L'histoire d'un trio qui vire au cauchemar mais qui demeure en effet sans cesse mâtinée de cette nostalgie profonde d'un amour possible, d'un amour éventuel - mais simplement pas en ces temps, par sur cette Terre...  Whitmer ne se contente pas d'écrire un récit qui file à cent à l'heure, avec un sens des dialogues au taquet, ne se contente pas de nous plonger dans un récit d'ado en devenir, dans un récit d'initiation amoureuse, il sait aussi placer au moment opportun des petites références qui sortent de nulle part (les philosophes grecs) et des petites réflexions ontologiques qui font mouche (les subtiles différences qui existent entre l'être et l'image qu'il donne, qu'il souhaite donner, qu'il parvient à donner). On enquille les chapitres de ce bouquin à la vitesse d'un barillet qui se vide et l'on se dit qu'une certaine idée de la littérature n'est pas encore totalement morte. Le genre de bouquin qui soigne (de l'écriture figée de certains pseudo écrivains français) et qui rend diablement humble (quel plaisir total certains écrivains peuvent donner avec quelques mots quand d'autres écrivent avec des mitaines).   (Shang 21/10/20)

 

Commentaires
C
Merci pour la découverte ! J'ai adoré ce livre, il m'a filé un regain de motivation assez dingue.
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