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Shangols
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7 octobre 2020

Le Masseur (Masahista) de Brillante Mendoza - 2005

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Aucun doute : dès ses premières images, on pouvait sentir que Brillante Mendoza serait un grand. Ce premier film est fascinant, et arrive à proposer un style brillant malgré les contraintes, financières et morales. Financières, parce que Le Masseur est de toute évidence fauché, réalisé dans l'urgence, presque clandestinement : il en ressort une image assez moche, en vidéo (?), quelques imperfections de montage et un jeu des comédiens pas toujours au taquet ; et morales, parce que Mendoza s'attaque ici à un sujet délicat et qui a pu lui valoir des déboires : la prostitution masculine, sujet qu'il traite avec une frontalité et une absence de gêne qui lui font honneur.

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Nous sommes au coeur de Manille, où le jeune Illiac (allusion homérique ?) est de retour dans le quartier pour enterrer son père. Il est engagé dans un bordel, pour prodiguer massages, conversations et pipes à des clients plus ou moins aimables, venus chercher dans la bouche et autres orifices de ces messieurs de quoi oublier leur ennui, leurs désirs refoulés et leurs rêves. Rien de plus que ça. Mendoza parvient à rendre à ce tableau une authenticité extraordinaire. Les scènes au bordel sont frontales, crues, comme si les agissements interlopes de cette faune allaient de soi : les jeunes garçons font des passes, les clients les payent, et ainsi tourne le monde. Les activités de ces garçons sont effectuées au vu et au su de tous, y compris de la famille, et les usages des clients sont à peine plus secrets. Le sexe et la domination des riches sur les pauvres sont de toute façon le lot commun de cette société philippine tellement vérolée de partout qu'on ne se rend même plus compte qu'elle l'est : les pauvres acceptent leur misère et prostituent leurs enfants sans vergogne ; les riches acceptent leurs pulsions sexuelles et dominatrices et jouent encore mollement le jeu de la séduction mais sans y croire. Ce portrait en coupe de notre joyeux monde contemporain est donc très triste, même si Illiac et ses potes accomplissent leurs tâches plutôt joyeusement, cherchant à arnaquer ces nantis le plus possible. Le grain de l'image, très crasseux, le filmage direct des choses, les plans parfois assez poétiques (les plongées sur les boxes du bordel qui traversent les murs, les beaux plans de couples), tout ça fabrique une vraie musique en adagio, ample et simple à la fois.

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Surtout, ce qui est le plus beau dans le film, c'est sa façon de nous montrer la mort et le sexe côté à côte, quitte à tenter l'audace : les activités tarifées d'Illiac sont filmées en parallèle avec la préparation du corps de son père : toilette mortuaire, enterrement, etc. La peau du mort côtoie celle des clients, en un montage parallèle assez virtuose, et assez casse-gueule. La mort fait véritablement partie du quotidien de ces laissés-pour-compte : en témoignent ces jeunes qui jouent au basket à quelques mètres de la mise en terre d'un type. La vie continue, même dans la crasse et la misère les plus totales. Ce film empathique et fiévreux, fataliste et sexué, fait le funambule entre réalité et fiction, et réussit à devenir la chronique d'un pays tout entier, rongé par l'ambition, la misère, le sacrifice des enfants et l'indigence.

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