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29 septembre 2020

LIVRE : Betty de Tiffany McDaniel - 2020

9782351782453,0-6768041Si on en croit les journaux, en général assez prompts à hurler au génie, Tiffany McDaniel serait la nouvelle voie des lettres américaines (comme il en pousse une tous les mois environ). Avide de vérifier la chose (et aussi attiré par le fait que ce livre ne porte aucun bandeau d'incitation de Stephen King), me voilà embarqué dans ces 716 pages. Et embarqué est bien le bon mot, tant la jeune McDaniel parvient sans problème à vous entraîner dans le flot de son récit, par la grâce de sa langue simple et poétique, de son histoire craquante et sombre, de sa personnalité originale. Rien de spectaculaire réellement là-dedans : la belle est dans la narration américaine traditionnelle, dans la notation behavioriste, dans la méfiance constante de la démonstration ou du symbolisme. Tout est légende pourtant dans la vie de la jeune Betty, fille de cherokee qui a le tort d'avoir la peau plus foncée que les autres, mais l'avantage d'avoir un paternel pas piqué des hannetons. Tout serait propice à la poésie symboliste, le paternel aimant à user d'histoires magiques et fantastiques pour expliquer les plus petits faits de la vie. Mais c'est pourtant dans le concret le plus terre-à-terre que Betty nous narre son histoire, dans la non-remise en question des contes pleins d'imaginaire de son père : ce qu'il raconte embellit la vie, point, peu importe que ce soit vrai ou non. On assiste donc à la naissance d'une femme à travers son enfance magique, en compagnie de ses frères et soeurs tous plus ou moins barrés (d'un grand frère prédateur sexuel qui va être à l'origine de maints malheurs à une soeur se rêvant star d'Hollywood, d'un frère attardé collectionneur de cailloux à un autre absorbé par la peinture), d'une mère dépressive et suicidaire et donc d'un père magnifique, véritable héros du livre, capable de vous consoler en vous racontant des histoires d'échelle qui mène à la lune ou de vous expliquer la forme d'une pierre par un conte animalier parfaitement allumé. Il constitue la pierre de voûte de cette famille bancale, et son amour de la vie (et de ses enfants) sauve tout le monde de bien des obstacles. A l'ombre de cette présence protectrice et douce, Betty grandit, affronte les scories (les camarades de classe racistes, les deuils, les accidents), et apprend à devenir une femme (c'est-à-dire, selon sa mère, à "s'offrir au couteau")

L'Amérique a évolué depuis Mark Twain, et le récit de McDaniel enregistre tous les changements de moeurs de ce pays pacé sous l'égide de la violence. Betty se déroule dans les années 60, mais il parle d'émancipation des Noirs, de la soumission des Indiens, du refus des originaux et de la domination masculine, un peu comme s'il datait d'aujourd'hui. La vie de Betty a beau être emplie de belles choses (animaux, nature, c'est comme si la famille s'était établie à l'orée du Paradis), c'est la violence qui prédomine dans son histoire : celle du frère violeur, celle de la mort des gens ou des bêtes qu'on aime, celle de la dépression, celle de l'atavisme familial qui incite tout le monde à faire du mal à tout le monde. Une étrange mélancolie se dégage donc de ce récit faussement lumineux, faussement enfantin. McDaniel choisit une option risquée mais pertinente dans son cas : tout raconter du point de vue d'une enfant, depuis sa hauteur. Elle n'évite ainsi pas la mièvrerie parfois, mais son roman gagne en intensité, en profondeur, en véracité. C'est vraiment la narration d'une enfant qui regarde son père et qui éprouve la vie par son regard. La beauté des personnages, leur vérité, ajoutent beaucoup à la poésie toute simple du livre. Bon, c'est vrai que c'est un peu long (on aurait eu 300 pages de moins, ça serait passé tout aussi bien), parfois très anecdotique, et McDaniel ne parvient pas toujours à atteindre la grandeur des récits magiques qu'elle voudrait nous faire partager. Pire : au fur et à mesure des catastrophes qui s'abattent sur cette famille, on en vient à les anticiper et à prévoir à l'avance ce qui va se passer. Mais malgré ça, on apprécie la lumière qui émane du livre, et la sorte d'apaisement qu'on éprouve à le lire. Pour ça, Betty mérite votre attention, messieurs-dames.

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