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12 septembre 2020

La Pendaison (Kôshikei) (1968) de Nagisa Ôshima

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Oshima, en 1968, s'attaque à un sujet pour le moins sensible, celui de la peine de mort, peine à laquelle 71% de ses congénères sont favorables. Le cinéaste va s'attaquer au sujet à bras-le-corps, tout d'abord, en filmant une pendaison et son échec (le cœur du coupable bat encore, plus de 15 minutes après l'exécution). Comme on ne peut mettre à mort un homme inconscient, il va s'agir de le faire, d'une part, revenir à lui et d'autre part s’assurer qu'il sait bien qui il est, à nouveau pleinement conscient de ce qu'il a fait - sinon la peine de mort n'a plus aucun sens, déjà que (...). Oshima prend alors des chemins de traverse pour mener sa réflexion : tout le personnel responsable de la mise à mort du condamné tente, en se mettant eux-mêmes en scène, de le replonger dans ses meurtres, puis dans son enfance, dans sa vie, auprès de ses parents coréens... Tout est fait (et chacun met tous ses talents d’acteur amateur) pour le ramener à la réalité… De fil en aiguille, au cours de ce long processus, il sera aussi question de la condition difficile des Coréens dans le Japon moderne, des divers massacres perpétués par le Japon au cours des dernières guerres, etc... Notre Coréen, en revivant plusieurs épisodes de son passé, en faisant part de ses frustrations, en avouant le rôle diabolique de son imagination lors de ses meurtres, et finalement en rencontrant, en cours de route, l'amour, a l’impression d’être devenu un autre homme ; au moment de sa ré-exécution (les responsables de la mise à mort s'acharne) se posera tout de même l'épineuse question suivante : les hommes qui lynchent, au nom d'une nation (notion pour le moins abstraite), un type qui a tué doivent-ils à leur tour être mis à mort ? 

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Le film qui part de façon relativement réaliste (les tremblements de peur du condamné, le personnel froid comme la mort) part inexorablement en vrille avec ce personnel pris de court par cette pendaison inefficace ; tout un chacun s'y met pour ramener le condamner à la vie et lui faire prendre conscience de lui-même ; un véritable petit théâtre en huis-clos se met en place, la tragi-comédie se substituant en quelque sorte à cette porte de l'enfer : les autres (tous à l'exception du condamné) semblent prêt à tout pour que le pendu revienne les pieds sur terre ; le ridicule ne tuant point, chacun tente de jouer le mieux qu'il peut qui le père, qui le frère aîné, qui la mère, qui la sœur du condamné... Nos acteurs de pacotille se prennent tellement au jeu qu'ils s'imaginent parfois à l'extérieur de cette cellule, l'un d'entre eux prenant même tellement son rôle au sérieux qu'il « mime » jusqu'au bout l'étranglement d'une victime. Cette petite mise en abyme sans fond n'est pas là uniquement pour divertir le spectateur : elle ne tarde pas à dériver sur des thèmes beaucoup plus dramatiques tels que la façon dont les Coréens sont traités au Japon (de simples esclaves modernes), ou encore le massacre des Coréens ou des Chinois pendant la dernière guerre, certains des participants à cette mascarade semblant prendre un malin plaisir à se rappeler les exécutions sommaires auxquelles ils ont participé... Si la peine de mort est forcément mise en perspective par rapport à ses nippons pas vraiment bien sous tout rapport, notre Coréen n'échappe pas non plus à cette remise en question quant à sa vie... S'il ne peut nier ses deux meurtres, s'il reconnaît son terrible problème personnel à différencier le monde de l'imaginaire, ses obscurs fantasmes et la réalité (nouvelle petite couche de mise en abyme au passage), il avoue n’avoir pris pleinement conscience de ses actes (et de ses fautes) qu'en découvrant enfin l'amour, le vrai... Cela ne l'empêche pas pour autant de rester pleinement coupable aux yeux de ces responsables administratifs qui, après s'être roulés dans la fange, saouls comme des cochons et avoir avoué leurs pires actes de guerre veulent tout de même aller jusqu'au bout de cette procédure ; Oshima tentera d’illustrer jusqu’à la dernière image dans quelle mesure cette pendaison demeure absurde, proprement inutile. Pêchu plaidoyer sur ce point noir de la société encore brulant dans les sixties, Oshima ne recule devant aucun procédé (sur le fond et dans la forme) pour mener intelligemment sa démonstration. Un cinéma pêchu, disais-je, pour ne pas dire exigeant (il faut parfois le suivre, le bougre) mais on ne peut plus nécessaire. Deep.  

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