9782283032800,0-6765163Avec Marie-Hélène Lafon, les enfants, on ne plaisante plus, là on arrête de faire les marioles. Le style, c'est son affaire, et elle hérite de son métier de prof de lettres un goût pour le classicisme, le mot juste, le raffinement de la langue qui transforment ce qui pourrait n'être qu'un roman régionaliste à la con en un moment de beauté parfaite. Histoire du Fils est un livre comme on n'en fait plus, un de ceux qui prennent l'écriture au sérieux, qui remettent chaque jour le pain sur la planche, qui considère l'activité d'écrivain comme un sacerdoce, un effort, un vrai travail sur la langue. La moindre phrase pondue par Lafon ferait rougir n'importe quel auteur d'aujourd'hui, et il faut se tourner plutôt vers les grands maîtres du XIXème siècle pour juger de la beauté du livre ; vers Flaubert, surtout, modèle éternel de la dame, à la cheville duquel elle parvient cette fois-ci à se hisser. Oui, à ce point-là. C'est en tout cas le but avoué du roman, qui cherche à retravailler par la langue l'éternel thème des liens familiaux, et qui lui redonne une texture, une émotion, une densité qu'on retrouve chez le maître. Chez Lafon les odeurs ont une couleur (et je vous jure qu'on sent littéralement le "parfum rose" des vieilles), chez Lafon l'adjectif est traité en orfèvre, chez Lafon on va chercher les termes les plus savants pour tenter de décrire une émotion au plus près, chez Lafon le terme "caparaçonner" (et non le barbare "carapaçonner") est remis au goût du jour sans crânerie. L'érudition est un plaisir d'esthète dans ce livre dans lequel on aime s'enivrer de mots comme quand on découvrit Rimbaud ou Stendhal. D'autant que la bougresse ne se contente pas d'être d'une précision diabolique dans le choix de ses mots, de donner à chacun d'eux une densité et une incarnation extraordinaires, de travailler le matériau de la langue en patiente sculptrice, de revenir à un goût de la sensation induite par la grammaire ; elle pratique aussi une musicalité de la prose absolument épatante, capable d'enchaîner plusieurs phrases assez lentes, alambiquées, tortueuses, difficiles, remplies de noms propres, puis tout à coup de vous balancer cinq adjectifs en rafale, sans ponctuation, ou d'accélérer subitement son tempo pour vous écraser sous un événement, ou au contraire de tout figer par une remarque poétique, abstraite, éloignée du contexte de la trame. En un mot, Lafon est en pleine possession de tous les moyens qu'offre notre bonne vieille langue française pour exprimer une émotion, une sensation, un parfum, un geste, un paysage, et ne se prive pas d'en user, au risque de la désuétude, de l'anachronisme. Elle n'est pas d'aujourd'hui, c'est évident, mais c'est ce qui fait son charme. Le livre est un vrai plaisir de lecteur, un de ces trucs où on se vautre avec délice dans la profusion des mots, des figures de style, des règles de grammaire. Un vrai livre de prof, mais qui serait sorti de l'école pour transformer son savoir en expérience sensorielle.

Le souci, c'est que ce qu'elle raconte dans cette écriture si parfaite... on n'en a rien à foutre. C'est comme toujours une histoire de famille, avec les lourds secrets que personne ne dévoile (ici, l'identité d'un père), les dissensions et les passions, les destins et les petites anecdotes, les grands drames et les joies, ce genre de truc. Le fait que cette histoire se déroule dans le Cantal, avec son climat particulier, ses expressions, son caractère, rend le roman encore plus pittoresque, jusqu'à lui faire frôler, comme j'ai dit, le genre "roman régional". Lafon connaît bien le coin, bien sûr, et excelle à donner à ses personnages l'authenticité qu'il faut, s'amusant à pointer ici une petite dissension vis-à-vis de la soeur partie à Paris, là le caractère taiseux d'un vieux. Si vous êtes né à la campagne, vous reconnaitrez sans souci ces différents caractères qui traversent le siècle, et aussi ce socle très solide constitué par la famille dans ces coins-là. Mais on se tape comme de l'an deux de cette histoire de fils qui part à la recherche de son père, de frère jumeau mort, de mère qui délaisse son fils etc. Dommage que Lafon ne mette pas son génie de l'écriture au service d'un autre genre de trame. Elle pourrait faire des étincelles.