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4 septembre 2020

LIVRE : Nickel Boys (The Nickel Boys) de Colson Whitehead - 2019

9782226443038,0-6253148Accueillons avec le respect dû ce fameux écrivain américain ayant réussi à décrocher deux fois le Pullitzer, exploit visiblement rarissime, et penchons-nous sur ce roman auréolé du fameux prix. Appuyé sur des faits réels, il raconte le triste destin d'Elwood Curtis, citoyen noir dans l'Amérique des années 60. Brillant élève pouvant espérer sortir de la fatalité liée à sa couleur de peau, il est accepté dans une grande université, mais la malchance s'en mèle : accusé de vol à tort, il échoue à Nickel Academy, un centre de correction pour ados, qui va s'avérer être un véritable enfer sur terre. Les mauvais traitements sont le lot commun, surtout quand on est noir. Au son des discours de Martin Luther King, le gamin, a priori discret et déterminé à sortir par la grande porte de l'institution, va se transformer en vrai rebelle, découvrir le sens du combat pour sa liberté. L'insolence et le refus d'obéir vont s'incarner dans ce gosse, et tant pis si les coups de fouet le laissent exsangue, tant pis si le cimetière clandestin qui jouxte le bâtiment a déjà un trou pour lui, il ira jusqu'au bout de ses convictions. Whitehead décrit par le menu la somme de vexations, d'abus d'autorité, de coups, d'humiliations, d'injustices, de racisme latent, que renferme Nickel, et la naissance dans l'esprit d'Elwood du sentiment de rebellion, obligatoire à la survie dans ces années-là pour un black.

Le miroir ici envoyé à la face de notre bonne vieille Amérique n'est pas tout à fait à l'avantage de celle-ci. Si l'intrigue se déroule il y a 60 ans, on ne peut bien sûr que faire le lien avec le mouvement "Black Live Matters" actuel. Car le racisme a l'air toujours aussi actif aujourd'hui, et toute la finesse du livre est de savoir organiser un subtil aler-retour entre les années 60 et les années 2020, en faisant parler le narrateur depuis le monde contemporain. Whitehead peut se permettre, sous couvert de témoignage d'autrefois, de balancer sévère sur les exactions commises sur ses frères, sur la complicité des notables (magnifique chapitre sur la visite de l'institution par quelques politiques), sur la totale indifférence de la population et des noirs eux-mêmes sur la souffrance de leurs frères. Le bouquin est violent et amer, vibrant tout du long d'indignation face aux injustices dont est victime le héros, pourtant convaincu de la possibilité de son émancipation. Whitehead écrit "à l'américaine" : c'est factuel, écrit tout droit, avec un sens de la construction solide et un goût pour la narration qui parvient à vous capter sans problème. S'il se permet quelques considérations plus politiques, sociales, philosophiques, ce n'est jamais en donneur de leçons, mais plutôt par la bande, en construisant une mise à distance des faits (souvent éprouvants) par le discours indirect. Tellement indirect d'ailleurs que les identités se floutent, et que la fin du livre surprend pas mal par son twist. On reconnaît cette patte à 10000 lieues, Whitehead écrivant dans une tradition séculaire de roman engagé (l'école Steinbeck, Dos Passos...), sans une once de gras, sans appuyer sur la psychologie, sans se laisser distraire par les digressions. C'est classique, sûrement un peu trop pour renverser complètement, mais tellement en colère et tellement juste qu'on ne peut que s'incliner devant cette sincérité. Son livre a en plus le mérite d'arriver à un moment idoine de l'Histoire, le prix Pullitzer était dans la poche avant même parution. Dont acte.

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