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25 août 2020

LIVRE : Chavirer de Lola Lafon - 2020

9782330139346,0-6765907Une constance certaine chez Lola Lafon, qui depuis quelques romans tente de creuser les difficultés liées au fait d'être une femme dans le monde d'aujourd'hui. Après Nadia Comaneci, après Patty Hearst, elle invente cette année un personnage d'adolescente qui va elle aussi subir les assauts de la modernité, de la domination masculine et de la psychologie dévastée. Voici donc Cléo, 13 ans, fanatique de danse depuis qu'elle a aperçu une poupée toute de plumes vêtue chez Drucker à la télé. Elle s'inscrit dans un cours, et très vite elle tombe sous le charme d'une femme qui travaille pour une agence censée repérer les talents. C'est en fait un piège dans lequel elle va mettre les deux pieds : non seulement elle est abusée par des adultes qui la violent, mais elle est contrainte, presque malgré elle (elle a abandonné toute conscience depuis longtemps) à engager d'autres petites filles pour rassasier ces prédateurs. Le roman raconte comment cette fillette se retrouve emprisonnée dans un complexe réseau de culpabilité et d'ambitions adolescentes, le mécanisme du silence chez "ceux qui savent", et les répercussions désastreuses que ça va avoir sur son existence et celles d'autres personnages qui la croisent au cours de sa vie. Habile construction en roman choral, qui donne le point de vue tour à tour d'une co-locataire, d'un amoureux, d'une autre victime, d'une habilleuse, etc, pour constater que, dans le sillage de cette sordide affaire sont entraînés bien d'autres destins.

Pourquoi pas ? S'il est un auteur dont on pouvait attendre avec bienveillance son regard sur Metoo, c'est bien Lola Lafon, qui a toujours su écrire des textes justes sur les femmes, sur leur psyché, sans jamais tomber dans les clichés de magazines féminins ou de féminisme hystérique. Chavirer commence d'ailleurs plutôt bien, le début décrivant le noeud de l'affaire, ce détournement de mineure accompli patiemment par un réseau hyper-efficace : on y voit non seulement la spirale de domination "douce" qui s'exerce sur Cléo, mais aussi l'importance des classes sociales dans l'opération de l'agence de pédophiles Galatée : Cléo est une prolo, à l'univers et à l'imaginaire restreint, et la possibilité de devenir une star, de vivre dans l'abondance et le luxe, joue beaucoup sur le piège mis en place. Par la suite, Lafon jouera toujours non seulement sur la lutte des sexes, mais aussi sur celle des classes, sur celle des races, montrant que la pression sociale ne se limite pas aux femmes, mais s'exerce aussi sur les pauvres, sur les noirs. Mais justement : quand elle quitte son histoire principale, si justement décrite, si précise, elle se perd souvent dans les discours, et le livre devient flou. On ne voit carrément pas où elle veut en venir avec plusieurs personnages qui paraissent un peu anecdotiques au vu de la gravité de ce qu'elle raconte ; d'autres n'ont l'air liés à Cléo que de très loin, et ne semblent pas être impactés par son trauma. Si de temps en temps, elle retrouve cette vérité psychologique (l'habilleuse de théâtre, pas exemple), elle est la plupart du temps tellement pudique qu'elle finit par produire des parties trop ineffables, trop allusives, qui ne s'emparent pas assez frontalement du sujet. Elle choisit dès le départ de ne pas écrire (ou de n'écrire qu'à peine) les scènes où Cléo se fait violer, dans une volonté louable d'éviter le racolage ou la complaisance. Mais cette timidité impacte tout le roman qui, du coup, ressemble à une petite chose toute de pudeur alors qu'il aurait besoin de plus d'incarnation. Comme en plus (et ça, c'est un défaut habituel chez Lafon), l'écriture est un peu incertaine, mal rythmée, heurtée, on a du mal à voir réellement ce qu'elle a envie de nous dire, et on suit assez péniblement ces pauvres destins. Raté, pour moi, mais ça valait la peine d'essayer.

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