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22 août 2020

Mélo d'Alain Resnais - 1986

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Cérébralité et émotion : Resnais est peut-être le seul à savoir aussi bien mêler les deux, et avec Mélo, il trouve peut-être son point d'orgue dans cette veine (je crois que c'est mon Resnais préféré). Ce fim est à la jonction de plusieurs dualités du cinéma du bon gars : entre les expérimentations quasi-abstraites du passé et les amusements théâtraux du futur ; entre un cinéma très cérébral et un autre plus léger ; entre l'intellectualisme de niche et le cinéma populaire. En tout cas, voici le premier film de son auteur qui accepte l'émotion pure, et clame très haut son amour pour le genre (le mélo), pour le théâtre, pour la petite musique de chambre. Il s'empare d'une vague pièce de Henri Bernstein, qui n'a d'ailleurs qu'un intérêt limité, pour en faire un vrai mélodrame à l'ancienne, non pas tant d'ailleurs dans le jeu des acteurs ou dans la forme elle-même que dans l'esprit. Marcel tombe raide dingue de Romaine, Romaine est avec son meilleur ami Pierre, classique configuration de l'adultère qui débouche fatalement sur un drame. Cette historiette surannée et très balisée se déroule sur fond de milieu social clinquant, puisque ces trois-là sont musiciens de haut niveau. Si Marcel a réussi et sillonne le monde avec son violon, Pierre, lui, est resté dans son ombre ; mais il a su épouser Romaine, pétillante femme-enfant. Au cours d'une soirée, le coup de foudre tombe sur Marcel et Romaine, qui entament alors une histoire secrète pleine de passion. Pierre, avec toute son immaturité et son sens du drame, découvrira-t-il le pot aux roses ?

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Ça pourrait être ridicule, ringard, pénible ; c'est magique et léger, profondément émouvant et passionnant. Bien sûr, sur ce genre de canevas, il faut de l'acteur et du bon. Or, le trio choisi par Resnais, et qui sera désormais son trio fétiche, est au-delà du grand : Arditi est agaçant et pitoyable en petit mec transi d'amour, jaloux comme un pou, mais jovial et fêtard ; Azema est géniale en petite furie, d'autant qu'elle fait virer imperceptiblement son personnage vers la maturité, vers le sérieux, vers la tragédie même, montrant ici l'étendue de sa palette et sa vraie personnalité (c'est l'actrice française la plus étrange) ; et surtout, surtout, on a là Dussollier dans sa plus grande interprétation, musicien élégant et tourmenté, hanté par cette femme mais toujours raffiné et poli : dans la dernière bobine, il est sublime dans ses doutes, ses tentations, dans sa façon de s'enferrer dans son mensonge, dans son incapacité d'échapper à son milieu policé. Ces trois acteurs arrivent à doper un texte qui aurait pu être démodé sans eux, et des expressions impossibles passent comme de rien dans leurs bouches. Resnais les dirige de façon très originale, dans un mélange de sincérité et de distance : on dirait toujours qu'ils se regardent jouer, et pourtant ils sont habités par leurs rôles, presque envoûtés même. Un modèle de jeu à la française, c'est la plus grande qualité de Mélo. Même Fanny Ardant, dans un rôle très secondaire, est touchante en amie secrètement amoureuse (elle m'a évoqué la Madeleine des Parapluies de Cherbourg), témoin extérieur de cet effondrement amoureux. Le scénario, découpé en longues séquences, fait la part belle à des dialogues subtils, qui donnent tous loisir aux comédiens de développer une psychologie complexe.

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Mais Mélo est très loin de n'être qu'un "film d'acteurs". Resnais ne se contente pas de regarder ses comédiens dire le texte. Il habille tout ça d'une mise en scène élégantissime, qui ne refuse aucun des artifices du théâtre mais y ajoute des techniques purement de cinéma. C'est la cas par exemple avec le plan le plus fabuleux du film : 10 minutes de monologue de Dussollier, d'abord pris depuis le dos de ses interlocuteurs, puis bougeant doucement en travelling pour se rapprocher lentement de son visage ; on coupe peu à peu les lumières pour rester sur son visage sur fond noir, avec une accentuation sur ses yeux. La parole devient incarnée comme jamais, on est littéralement suspendu aux lèvres de Dussollier. Dans des décors de studio, devant des toiles peintes, les acteurs se livrent à un ballet amoureux qui joue avec l'artificialité, comme cette scène devant les miroirs lors de la soirée au cabaret russe, comme ces séquences chez Marcel avec cette baie vitrée mondrianesque, comme ces effets de lumière très marqués pour mettre en valeur telle émotion ou tel mot. Ce film est un véritable enchantement, qui ne refuse pas la sentimentalité la plus exacerbée, ce qui déclenche toujours mon respect le plus bas.

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