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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
19 février 2021

Madre de Rodrigo Sorogoyen - 2020

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Au milieu du marasme estival surgit un grand film, hosannah. Palpitant et intrigant, joué à la perfection et très émouvant, Madre est aussi admirable pour ce qu'il n'est pas que pour ce qu'il est. Explication : la scène d'ouverture semble nous orienter vers deux pistes obligatoires, celles du polar et du film psychologique pour lectrice de Elle. Elena reçoit depuis l'Espagne un coup de fil affolé de son fils de 6 ans en vacances en France avec son père : celui-ci l'a laissé seul sur une plage, il panique, il a peur. On entend un homme arriver, le téléphone coupe. Cut. Dans ce plan-séquence, superbement tenu et tendu (ma voisine de ciné a failli s'évanouir), il y a une sorte de sadisme et de sens du suspense parfaits. Mais cette scène, aussi grande soit-elle, nous éloigne du coeur du film. Deuxième scène, 10 ans plus tard. Elena erre sur la plage où son fils a disparu, elle croise un groupe d'adolescents, et elle repère au milieu d'eux un garçon. Apparition viscontienne traitée très simplement, dans cette immense plage filmée en focale courte, qui décuple les profondeurs de champ : une femme seule, un garçon, et le film va démarrer. Car Elena va traquer ce garçon, le suivre, se sentir inévitablement attirée vers lui, et lui, avec la naïveté de son jeune âge, va accompagner le mouvement jusqu'à la passion.

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Alors je vous vois venir, j'ai fait pareil : on va avoir droit soit à une enquête policière (Jean est-il le fils d'Elena ? que s'est-il passé depuis 10 ans ? arrivera-t-elle à le récupérer ?), soit à une pesante machinerie psycho-oedipienne (la mère qui va s'éprendre du fils, le sexe entre eux jusqu'au trouble, blabla). Eh bien non ; Sorogoyen évite ces deux écueils, et préfère réaliser un film très touchant sur le deuil. Car si Elena est obsédée par Jean, c'est parce qu'elle n'a pas pu faire ses adieux à son enfant, et parce qu'elle n'a pas pu vivre la tendresse, les rapports mère-fils, la vie normale qu'on a avec un enfant. Et si lui est attiré par elle, c'est parce qu'il veut bien, le temps d'un été, jouer ce fils de substitution, même si ses sentiments sont plus ambivalents. A la place de ces explications simplistes, on va donc avoir droit à un film sensible sur les rapports entre une femme et un garçon qui pourrait être son fils, et à une formation accélérée de tout ce qu'elle a raté depuis 10 ans : la tendresse, l'autorité, l'inquiétude quand il rentre tard, la fête qu'on fait avec lui, la complicité, la confiance, la bienveillance. Sous le soleil éclatant de cette plage, c'est une passion douce qu'on regarde, et le résultat est magnifique, tant le sens de la mesure de Sorogoyen est excellent, tant la tristesse de cette femme (éblouissante, cette Marta Nieto) imbibe tout le film, tant tout est beau et feutré dans cette histoire.

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Adepte du plan long, d'une temporalité errante, des scènes qui se méfient du fonctionnel, mais aussi du symbole et de la lecture au second degré, le gars réussit quelques scènes de toute beauté, à cause de cette profondeur de champ qu'il parvient à instaurer même sur des paysages très plats, grâce à ces longues séquences où les comédiens sont placés avec soin dans le cadre (la belle scène où la copine de Jean danse entre lui et Elena). Le film est beau, en un mot, avec sa photo magnifique et ruisselante de soleil. C'est peut-être un poil long, et on se serait passé des scènes, par exemple, où Elena est pratiquement enlevé par des garçons en boîte de nuit. Mais les scrupules de Sorogoyen à couper sont compensés par un soin extrême apporté aux séquences-pivot : une rencontre avec les vrais parents, une nuit en escapade folle avec Jean, un dialogue avec le père (superbe travelling avant jusqu'au clash)... et surtout ce final, émouvant à mort, où la mère apprend enfin à dire adieu à ce fils putatif et à le renvoyer à ses vrais parents : le regard d'Anne Consigny (parfaite, elle aussi) à Elena hors-champ est une vraie merveille, la musique sentimentale de Damien Saez est très joliment utilisée, le décor de ce bois loin du monde est parfait, et la mesure dans le dialogue et le jeu des deux acteurs est géniale. Longtemps que je n'avais point versé ma larme au cinéma, c'est chose faite. Sorogoyen, pour résumer, est aussi habile pour faire monter un suspense que pour vous transpercer le coeur, pour créer des images fortes (ces pleurs d'enfant face à un tas de bois mort) que pour filmer la mer, la plage, un petit sentiment un temps joyeux, la mélancolie. Touché. (Gols 29/07/20)

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Ah ben oui, pour le coup, pas évident d'ajouter ici son petit grain de sel. C'est en effet un film sur le deuil remarquablement subtil (revoir Bleu pour se rendre compte que le sabot est une invention polonaise), sujet casse-gueule entre tous puisqu'il s'agit de la perte d'un enfant. Sorogoyen évite absolument tout pathos en se concentrant sur cette mère totalement enfermée dans sa bulle, incapable de comprendre comment les autres (le père de l'enfant notamment) ont pu passer à autre chose et refaire leur vie, ayant besoin de faire un "transfert" quel qu'en soit le prix, quel que soit le regard des autres. Il y a donc ce garçon de 16 ans qui lui rappelle son fils et avec lequel vont se nouer des relations forcément ambiguës - elle fantasme son rôle de mère, il fantasme son rôle de jeune amoureux (sujet sensible (la mort d'un enfant), sur un thème sensible (les amours adolescentes) dont Sorogoyen se sort avec grâce et pudeur, sans jamais, bienheureusement, tomber dans le graveleux). Le film, mon comparse l'a dit, est tout simplement beau, sait instiller au moment voulu le plan-séquence signifiant, tendu, nerveux qui tombe parfaitement (la scène d'ouverture, la confrontation avec les parents) et parvient avec quelques scènes jamais sur-signifiantes pour le coup à instaurer le trouble entre ces deux individus (un petit excès du ralenti, peut-être, et de ces voix en off - l'idée était habile, mais la répétition du procédé lui enlève un peu de son charme). On reste certes un peu dans le flou (que s'est-il passé, que foutait le père ?) mais cela n'interfère en rien dans cette relation tout aussi floue entre deux êtres qui, malgré le regard des autres, malgré le qu'en dira-t-on, trouve un refuge, un bien-être, une satisfaction, à deux, ensemble - une complicité qui part sans doute sur des bases troubles mais qui se développe naturellement et dont finalement aucun des deux n'est totalement dupe (la lucidité de la madre et du jeune garçon sur cette relation ne faisant au final aucun doute). Il faut marcher sur des œufs pour traiter de ce genre de sujet et Sorogoyen a cette capacité rare de nous faire ressentir à la fois toute la douleur rentrée de cette femme dont la vie s'est arrêtée il y a dix ans et qui revit uniquement quand elle a ce garçon à ses côtés (elle est sinon en décalage avec le temps présent, comme perdue, sans repère dans ces paysages - elle ne parvient sinon à vivre dans le présent qu'en étant totalement bourrache le temps d'une soirée : mais dès qu'elle dessaoule elle reprend la fuite (je suis d'accord cependant avec Gols, cette scène avec les trois gus est tout de même un peu en trop)) et toute l'attraction de ce jeune garçon pour cette femme - la nature des sentiments qu'il projette envers elle n'est pas qu'amoureuse (le fait notamment qu'il ne s'entende pas avec ses parents est également à prendre en compte). Bref, on est dans le sensible, dans le non dit et l'évidence à la fois, un film rempli jusque-là d'émotions qui ne veulent et ne peuvent pas toujours dire leur nom. Madre mio !   (Shang - 19/02/21)

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