Le Manoir de la Peur d'Alfred Machin et Henry Wulschleger - 1924
Un vrai bonheur à l'ancienne que ce film d'épouvante des origines, qui sait mêler Edgar Poe aux inspirations expressionnistes, et qui montre un savoir-faire indéniable à tous les postes. Le Manoir de la Peur est en gros une compil de tout ce qui se faisait en matière de foutage de miquettes à l'époque, avec en plus un petit quelque chose issu de la passion d'Alfred Machin pour les animaux. Car la vraie star du film, plus que le funeste et mystérieux personnage tout de noir vêtu qui vient s'installer dans le paisible village reculé, plus que le brave jeune premier n'écoutant que son courage pour percer le mystère des épouvantables agissements d'un voleur anonyme, plus que la jeune bécasse qui tord ses mains de frayeur aux moments adéquats, c'est un chimpanzé, qui joue plus juste que tous les sus-cités réunis. Le joyeux primate va en effet accomplir moult cambriolages dans la ville, se faufilant partout tel un félin pour piquer colliers et espèces, terrorisant les petites vieilles réveillées en pleine nuit, et plongeant la communauté dans une angoisse superstitieuse qui ne va cesser de gonfler. Bon, heureusement que c'est un film muet, car on voit bien à l'écran que le singe brise à peu près tout sur son passage, et que la discrétion n'est pas son fort ; on se demande même pourquoi son maître ne va pas lui-même piquer les trucs, ce serait plus simple. Mais le charisme de ce chimpanzé est tel, il est tellement dressé à la perfection (il faut le voir verser du poison dans un verre), et tellement émouvant à errer comme ça dans la nuit et à saccager les armoires et les horloges, qu'on ne peut qu'oublier l'incohérence de la chose et qu'applaudir à l'exploit d'avoir su aussi bien le faire imiter les comportements humains. Toutes ses scènes sont géniales, et on le regarde bouche bée semer la panique dans la ville, tel celui d'Edgar Poe, et rapporter humblement le fruit de ses délits au méchant.
Mia à part cet atout indéniable, le film est rempli de qualités, depuis le jeu des acteurs (formidable faux méchant, qui terrasse tout le monde quand il arrive en ville et veut acquérir la maison hantée sur la colline, puis s'avère finalement un agneau) jusqu'à la splendide mise en scène tout en jeux d'ombres, en contrastes entre scènes violemment éclairées et sombres séquences nocturnes. Machin et Wurchleger connaissent leur grammaire de l'épouvante sur le bout des doigts, et y vont de la scène en ombres chinoises, des grandes silhouettes qui se découpent sur les murs, des plans de coupe sur les horloges indiquant minuit. Le moment de bravoure est le final : une scène ferroviaire impressionnante, avec crash de train comme récompense, que les gars filment dans un montage serré au rythme endiablé, c'est du magnifique ouvrage. Un petit film un peu oublié et pourtant très agréable.