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15 juillet 2020

LIVRE : Dévorer les Ténèbres (People who eat Darkness) de Richard Lloyd Parry - 2011

9782355847967,0-6315983Vous voulez de la réalité crue, du psychisme torve et du suspense glauque en milieu interlope ? En v'là, messieurs-dames, en la personne de Dévorer les Ténèbres, enquête journalistique sur un fait divers sordide, qui devrait vous tenir éveillé pendant quelques nuits, en partie pour éviter les cauchemars, en partie pour pouvoir aller au bout de ce pavé très prenant. Pary s'intéresse à un cas de disparition, celle de Lucie Blackman, jeune Anglaise ayant gagné le Japon par goût de l'aventure, et travaillant dans le monde mystérieux des hôtesses de bar. La jeune fille disparaît, et au fur et à mesure que le drame s'épaissit, quelques personnages se font jour : le père de Lucie, dévoré par l'obsession de retrouver sa fille, utilisant les médias et les politiques en maître de guerre ; son ex-femme, nid de rancoeur depuis son divorce, qui utilise le drame contre son mari ; et surtout le principal suspect, une merveille d'opacité, un monstre froid et civilisé cachant ses actes bestiaux sous un vernis d'éducation et de bonnes manières, un solitaire total ayant passé sa vie à fuir les contacts humains, un pervers dément caché dans un corps de millionnaire grand crin. Avec une minutie confinant à la maniaquerie (et parfois un peu too much), Parry remonte le cours de cette pitoyable histoire à base de corps coupé en morceaux, de viol sous drogue, de yakuzas et de serial-killer. La triste histoire de Lucie est déjà bien terrible en elle-même, et suffirait à rendre ce livre de journaliste intéressant et haletant ; mais ce ne sont pas vraiment les coups de théâtre de l'enquête qui intéressent Parry ; à travers cette étude, il parle surtout de la société japonaise contemporaine, du profond dépaysement ressentie par un Occidental au sein de cette société codée, incompréhensible parfois, opaque. Très au jus du caractère japonais, il analyse avec étonnement et précision ce peuple qui ne fonctionne définitivement pas comme nous, que ce soit sa police (lente, procédurière, incompétente faute de cas à se mettre sous la dent), sa justice (qui inverse la présomption d'innocence en présomption de culpabilité), ses codes de séduction (ici, on paye pour faire croire qu'on est intéressant) ou ses perversions (un système complexe de frustrations enfantines, d'attirance pour l'étranger, de mépris, d'adoration...)

Parry marche sur les pas de l'éternel modèle de ce genre d'exercice, Truman Capote, et réalise un bouquin fascinant sur les arcanes du mal ordinaire dans une société qui ne connait que très peu la criminalité. On se serait certes passé de pas mal de détails trop minutieux, et on voit mal en quoi la date du premier rhume de la belle-soeur de la voisine de Lucie peut intéresser dans la résolution de l'enquête. Il est trop long, quoi, comme souvent dans ce type de roman, qui veut absolument faire du coup de théâtre sur des faits réels. Mais ce qu'il perd en narration, il le gagne en psychologie : il a trouvé en ce Joji Obara un personnage parfait, et ce portrait mi-effrayé mi-consterné (son système de défense est aberrant) est la plus belle part du livre. Il est le symbole parfait des contradictions du Japon, cette opposition entre un hygiénisme froid et des névroses bien morbides, véritable machine à broyer de la jeune fille blonde et jolie. Un bouquin passionnant, certes un peu appliqué parfois, mais qui en dit beaucoup sur nos amis nippons.

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