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27 mai 2020

Les Portes de la Nuit de Marcel Carné - 1946

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Carné voudrait bien que tout reprenne comme avant, une fois la guerre terminée : que la mode soit encore au réalisme poétique, qu'il retrouve son Jeannot Gabin, qu'il retrouve le succès des Visiteurs du soir et qu'il continue à prévertiser ses jolis scénarios remplis de bons mots. Comme si rien du tout n'avait changé, il filme au sortir des conflits ces Portes de la Nuit qui, dès le générique, annonce sa volonté de rester immuable : musique Joseph Kosma, décors Alexandre Trauner, scénario Jacques Prévert, photo Philippe Agostini, son Antoine Archimbault, avec Raymond Bussière, Saturnin Fabre, Pierre Brasseur et Julien Carette. Et dès les premières images (joli noir et blanc sur des vues générales de quartiers parisiens, auxquels s'ajoutent une voix off désuète et désabusée), on est en terrain hyper-connu : revoilà notre Marcel, avec son imagerie fantastique et son réalisme social, ses accents parigos et sa mélancolie. Pourtant, dès les premiers plans, on sent que ça va pêcher : le côté cul entre deux chaises du film, associé à ce style impossible après la guerre, déjà complètement ringardisé, va ruiner les efforts du vieux maître : son truc est daté avant même d'être sorti. Toujours donc engoncé dans ses convictions de cinéaste d'avant-guerre, mais soucieux pour autant de tenir compte de ce qui s'est passé, le voilà qui trousse une histoire qui tente de mêler tout ça.

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Soit donc une dizaine de personnages, qui tous ont eu des comportements différents pendant la guerre. Il y a les nobles et courageux, représentés par Montand et Bussière, il y a les lâches et collabos, représentés par Reggiani et Fabre ; il a ceux qui ont traversé le truc sans encombre (Brasseur en éternel bourgeois trompé), il y a  ceux qui ont morflé (Carette et sa famille nombreuse, le seul élément un peu marrant du film), il y a ceux qui y sont restés. Plantez au milieu de tout ça une jeune première (Nathalie Nattier. Qui ça ? Nathalie Nattier. Ok.), et regardez l'eau bouillir sur fond de vengeance et de faits de guerre pas très glorieux. Ah, j'oublie l'élément fondamental, celui sans qui on n'est pas chez Carné : le Destin (Jean Vilar) regarde et commente tristement tout ça, essayant en vain de prévenir ces gens qu'ils courent à leur perte, puis quittant l'écran au plan final les épaules tombantes et l'amertume en bandoulière. Pauvres hommes...

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C'est même pas que c'est franchement mauvais. Et même, en réécrivant complètement le scénario et en virant Yves Montand, absolument nul dans ce rôle de jeune premier résistant malin comme un singe et romantique, on obtient même, ça et là, quelques beaux relents de ce que fut Carné. Il y a des ambiances de quartier qui réchauffent le coeur, le sens du détail dans ces petits personnages ordinaires (Carette est super, Fabre aussi), une belle photographie des lieux (le métro du début, l'immeuble tout en hauteur cher à Trauner, la petite maison déconnectée de tout où les amours se font), quelques mouvements d'appareil spectaculaires (la noyade de la Gitane est très bien filmée), et même le tout jeune acteur qu'est Reggiani se sort très bien de ce rôle pas facile de salaud intégral. Mais tout ça sent le périmé de très loin : tout est suranné, dépassé, ringard. Depuis les dialogues de Prévert, puant le bon mot (alors que le bougre avait su plus souvent qu'à son tour éviter le piège dans le passé) jusqu'à la construction même du scénario, qui veut tout brasser, regard politique, poésie fantastique, trame de cocufiage, mélodrame romantique, chronique d'un quartier, Carné rate pratiquement tout. C'est qu'il n'évolue pas, revenant à ses amours sans enregistrer les changements du monde ; et s'il veut semer dans son film des éléments politiques et actuels, ce n'est que par défaut : il lui est nécessaire de revenir dès que possible à ses personnages nostalgiques et sa trame pétée. Mal fagoté, mal écrit, le fim grince à toutes ses entournures, quand il n'est pas copieusement chiant (la rencontre entre Yves Montand et Nathalie Nattier (qui ?) dure 8 heures au bas mot). Bon, on aura au moins écouté "Les Feuilles mortes" et "Les enfants qui s'aiment", jolies rengaines, et on se sera replongé quelques minutes dans un cinéma d'avant, complètement éteint aujourd'hui. C'est déjà ça.

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