La Vengeance aux deux Visages (One-Eyed Jacks) (1961) de Marlon Brando
Voilà un western absolument épatant qui nous permet d'un coup d'un seul de faire toute l'odyssée Brando. Un western d'une beauté époustouflante (merci Scorsese et Spielberg pour la rénovation, c'est pas tous les jours), qui jouit d'une lumière et d'un décor de paysages marins remarquables en tout point, avec forcément, en prime, l'animal Brando qui n'a même pas à prendre la peine pour susurrer ses dialogues d'ouvrir les lèvres : c'est lui qui dirige, il est le boss. Une histoire d'amitié entre Marlon Brando et Karl Malden, une histoire de trahison, de pifs aussi, une histoire de vengeance, et en prime, pour notre chasseur Brando, une histoire d'amour (Pina Pellicer ! Une carrière stoppée prématurément). La trame est certes simple comme bonjour : un casse, une traque, une trahison et Brando en prison. Une recherche, des retrouvailles (Malden, passé du Mexique à la Floride, est maintenant shérif, l'enfoiré) et des complications (Brando pense simplement piller une banque et descendre son ex compagnon... mais celui-ci est retors et rusé !!!). Cerises sur le gâteau, Brando tombe amoureux de la fille adoptive de Malden et tue au passage un connard (le sosie de Nicolas Cage) qui violente une femme : un petit côté sensible qui sied forcément mal à une vengeance longuement murie. Qu'ajouter ?
Comme dans tous les bons westerns, ce qu'il faut réussir avant tout c'est les temps morts. Brando place la barre haut en se donnant 2h20 pour résoudre sa trame mais parvient haut la main à relever le défi. Car l'animal Brando n'a pas forcément besoin de scènes d'action pour captiver l'attention : qu'il taille la bavette avec une pute blonde mexicaine, qu'il discute le bout de gras avec son ex acolyte plus finaud qu'une fouine ou qu'il mange la feuille avec cette douce Louisa (il est suave, il l'embrasse, il ment, il la fait pleurer, il l'aime... il lui raconte toute l’histoire de sa vie en une nuit et il est tout le temps crédible l'enfoiré), toutes ces séquences, magnifiquement éclairées et écrites, sont absolument hypnotisantes. On aime ces discussions qui n'en finissent jamais, dont on connaît le double fond, les allusions et qui s'achèvent toujours en nous donnant envie de nous frotter les mains : oh putain ça va barder, c'étaient simplement quelques petites minutes de répit avant l'explosion - qu'il s'agisse d'une explosion de haine (la vengeance) ou d'amour (Brando a un cœur même s'il le cache sous des tonnes de mensonges éculés). Alors oui, l'animal se cassera les dents à plusieurs reprises avant de trouver le chemin de la rédemption : crucifié par Malden qui le fouette et lui pète la main droite, enfermé par Malden qui souhaite le voir crever au bout d'une corde, Brando n'en finit pas de chuter en raison d'une certaine naïveté ; l'animal se fait trahir par trois fois parce qu'il ne peut s'empêcher d'avoir une certaine foi envers son ex compagnon de casse. Mais il y a heureusement un Dieu pour les suaves et l'animal, après avoir serré des dents plus souvent qu'à son tour, retrouve toujours l'opportunité de se venger. L'histoire est simple, certes, les obstacles attendus, mais on se passionne pleinement pour la chose tant l'objet westernien est beau (des collines mexicaines à ce bord de mer floridien, mon coeur chavire - le western est l'occasion de connaître des endroits déserts dans lesquels on mettrait jamais les pieds...) et tant les personnages, qu'ils soient fourbes (Malden), puissants (Brando) ou tendres (Pellicer), sont bien dessinés - avec en plus, mon petit délire perso à moi, la présence d'Elisha Cook (apparence fugace mais décisive !). Le meilleur film et de loin réalisé par Brando, une pépite pour tous les amoureux de temps morts magnifiques.