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Shangols
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4 mai 2020

Les Bacchantes (Backanterna) d'Ingmar Bergman - 1993

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Ah là ça fait moins les marioles avec les subtilités du vers moliéresque ou les infimes variations du coeur ibseniennes. Là, on est dans Euripide, il s'agit donc d'être surpuissant et de ne pas s'embarrasser de psychologie. Eh bien, Bergman, même dans cet exercice a priori éloigné de ses inspirations, se montre une fois de plus l'homme de la situation. Il s'empare des Bacchantes en leur conférant les thèmes qui lui sont chers, notamment ceux concernant le féminisme. Pas de représentation filmée cette fois-ci, pas de public ou de filmage fonctionnel d'une pièce, mais un vrai film, qui autorise plus de liberté formelle, et qui lui permet également de méler plusieurs arts d'un seul coup : le théâtre, le cinéma, la danse et surtout l'opéra, puisqu'il s'agit d'un livret de Göran O. Eriksson et Jan Stolpe sur une musique de Daniel Börtz. Et de ce côté-là, on est plutôt satisfait : la musique, parfois chiante c'est vrai, est aussi assez souvent très belle dans son intimité, notamment dans le dialogue de la fin entre Agavé (superbe chanteuse qui vous gagne les aigus avec une aisance confondante) et Cadmos.

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Mais ne transformons pas Shangols en critique musical et voyons la version bergmanienne. Ce qui est intéressant, c'est la vision moderne que le bon maître donne de la tragédie. Dionysos est joué par une femme, moyen de détourner le principe du théâtre antique (où tous les rôles étaient joués par des hommes), mais aussi de traiter un thème qui lui est cher, celui de la place des femmes dans la société. La guerre interne qui se déroule entre Dionysos et Penthée reste un combat avant tout mystique : il s'agit de faire reconnaître au païen la toute-puissance des dieux et leur présence sur terre ; Penthée sera puni de son matérialisme d'abord parce qu'il ne croit pas à l'incarnation qu'il a devant les yeux. Mais la lutte est aussi une lutte de sexes : ce sont les hommes contre les femmes. Quatre ou cinq comédiens masculins sont lancés au milieu d'une troupe de femmes aussi belles que dangereuses, et refusent de leur céder la place. Il leur en cuira : Penthée sera obligé de se déguiser en femme pour aller observer les orgies des Bacchantes dirigées par Dionysos, et cette incursion dans l'univers féminin de la part du plus bourrin des hommes signera sa mort. Les scènes avec Dionysos, filmées par Bergman, s'avèrent être de grands morceaux de sensualité, le chef de Thèbes étant inexorablement attiré par la sensualité de son ennemi, dans un rapport attrait/répulsion que Bergman rend très bien. Même trouble des identités entre Cadmos et Tirésias, lui aussi joué par une femme... Le film ne cesse de cultiver le trouble sexuel entre les personnages, à commencer par les Bacchantes elles-mêmes, sexuées, érotiques, parfois saphiques entre elles, très différenciées les unes des autres alors que les hommes sont tous vêtus de la même façon. Belle idée qui, en plus, donne beaucoup de sentiments à la pièce et lui fait perdre du caractère figé dû à son époque.

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Beau regard donc sur cette pièce, et belle mise en scène. Débarrassé des contingences du théâtre, Bergman s'en donne à coeur joie dans le montage et le cadre, variant les positions de caméra avec plaisir, remplissant son écran des couleurs vives des robes des Bacchantes puis glissant doucement vers l'austérité quand la tragédie se noue, avant de terminer sur une image surexposée quand les destins se nouent enfin. L'énorme travail de costumes et de perruques associé aux chorégraphies très précises de ces dames donne énormément de vie à ces furies envoûtées par Dionysos : la cadre est saturé de mouvements, de comédiennes s'agitant en tous sens. Sans jamais oublier les règles du théâtre antique (notamment celles très strictes concernant le choeur, ou ces belles scènes de rapport de ce qui s'est passé à l'extérieur), en respectant toujours la côté religieux de la pièce et les codes de la représentation, Bergman sort du théâtre, pulvérise les rapports spectateur/scène, et offre un fort beau spectacle, intelligent, coloré, violent et sanguin. Je ne sais pas si Euripide a vu le film, mais il peut être content : il a trouvé en Ingmar un très beau "passeur" de son texte.

Ingmar à bout : ici

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