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1 mai 2020

Ten (Dah) d'Abbas Kiarostami - 2002

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Bon, là, les enfants, c'est pas compliqué : on est dans le chef d'oeuvre absolu. En 2002, Kiarostami nous servait l'oeuvre la plus audacieuse, la plus nouvelle, la plus intelligente du moment, et entrait directement dans mon panthéon des 5 plus grands cinéastes de tous les temps pour les siècles des siècles. La simplicité faite film pourtant dans cet essai rigoriste qu'est Ten : deux petites caméras DV fixées sur une voiture, dix plans mettant en scène deux personnages qui discutent, et emballez c'est pesé. Soit donc une femme, Iranienne d'aujourd'hui, conduisant sa voiture le long des rues d'une ville populeuse du pays. A ses côtés viennent s'installer plusieurs personnages : son fils, seul protagoniste masculin du film, en conflit avec elle depuis qu'elle a divorcé d'un mari trop rigoriste et épousé un autre homme ; une vieille croyante ; une femme qui va se marier et qui est prise de doutes ; une prostituée ; sa soeur qui vient, elle d'être larguée par son mec... Autant de protagonistes qui viennent chacun leur tour éprouver le personnage principal, la confronter à ses élans de liberté, à son féminisme, à son identité de femme, à ses doutes et à sa morale ; autant de protagonistes qui viennent la définir en quelque sorte, et finissent par nous offrir le portrait d'une femme forte, indépendante, émancipée, véritable brûlot dans le monde verrouillé de l'Iran du XXème siècle ; autant de protagonistes qui apportent leur lot de questionnements sur le poids de la religion, la notion de liberté, le statut de mère ou d'épouse, et surtout, surtout, la place de la femme face aux hommes.

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Dans le sujet, déjà, c'est passionnant. Kiarostami tente de s'extraire de son dispositif, de laisser tourner ses caméras arbitrairement pour saisir la vérité des acteurs, la parole sans frein. Ce qu'il dit dans ce film très politique, c'est que les femmes en Iran en ont un peu marre de jouer la comédie du tchador et de la soumission au mari, et qu'elles sont avant tout en train de s'émanciper beaucoup plus vite que les hommes. L'évolution de la relation avec le fils par exemple est très parlante : de très conflictuelle au départ, elle évolue vers un apaisement de la part de la mère, qui accepte de perdre ce gamin, de lui abandonner ses caprices et ses incompréhensions, de s'émanciper, de devenir une femme en elle-même et plus par rapport à lui ; c'est aussi le dilemme de ses dialogues avec les deux femmes mariées ou en instance de l'être : c'est la vie, la vie est une perte, la vie est un choix, qui doit se faire malgré les hommes et malgré les codes sociaux. Le film opère une courbe magnifique, depuis l'emprise masculine (la scène 10) vers une femme rasée qui enlève son voile (la scène 2), dans un geste d'une insolence totale, dans une affirmation artistique et politique révolutionnaire. Kiaro n'essaye pas de rendre sa femme plus sympathique qu'elle n'est : elle a ses faiblesses, ses agacements,ses excès, son moralisme (la magnifique séquence avec la prostituée). Mais il la montre avec une honnêteté totale, nous la rendant immédiatement proche et attachante.

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Mais c'est dans la mise en scène que Ten bluffe le plus, justement parce qu'il fait mine de n'en avoir point. Kiaro est omniprésent dans le film, même s'il fait semblant de s'exclure de son procédé. Au premier plan, on a ces discussions très sobres entre les deux personnages, et on admire déjà la science du montage : qui parle ? qui répond ? qui voit-on à l'écran et qui est occulté ? Qui a droit à ses plans extérieurs à travers le pare-brise ? C'est une grammaire minutieuse qui est développée, dans une installation qui peut certes déconcerter par sa rigueur mais pulvérise tout ce qui s'est fait en matière de mise en scène de dialogue. Et puis surtout, au second plan, Kiaro développe les idées du Goût de la Cerise, en rendant omniprésent le hors-champ, ou l'extérieur de la cabine. Dans un éternel travelling, il filme le monde extérieur, la voiture servant de rail, pour mieux faire exister la société vis-à-vis des personnages qu s'expriment dans la bulle / studio de cinéma / espace mental / cabine de voiture. Ten est finalement très ancré dans son milieu, social, politique, historique, géographique, alors même qu'il semble s'en exclure : non seulement dans les sujets qu'il aborde mais dans sa façon de placer ses personnages dans un contexte précis, au milieu d'un monde contemporain qui trouve là sa plus parfaite expression. Bouleversant, captivant, supérieurement intelligent, voilà un des trois ou quatre sommets de la filmographie du sieur.

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A tout Kiaro

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