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18 avril 2020

Deaf de Frederick Wiseman - 1986

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Le voyage de Wiseman dans les lieux secrets du monde se fera cette fois-ci plus intime, puisqu'il plonge avec Deaf dans l'univers inconnu des sourds. Sans rien occulter de ce qui fait l'inaccessibilité du commun des mortels à ce monde si étrange, il s'enferme dans un centre d'éducation pour enfants sourds, et filme, comme à son habitude, tout ce qu'il y a à y filmer. Si certains de ses films semblent n'obéir à aucune logique propre, celui-ci est assez savamment construit en trois parties : d'abord l'apprentissage, auprès d'enfants auxquels on enseigne le langage des signes et même le langage parlé (travail ardu mazette) ; ensuite les relations des sourds avec leur entourage, famille, profs, monde extérieur, et les difficultés obligatoires qui s'ensuivent ; enfin, leur admission (ou non) dans le monde, leurs relations entre eux et leur assimilation dans la société. Joli plan d'ensemble, qui permet de profiter dans chacune des parties de moments assez sensationnels.

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Dans la première, sûrement la plus intéressante, on découvre comment les enfants découvrent le pouvoir des cordes vocales et les différences de sons (mais comment transmettre la différence entre un "p" et un "b" à quelqu'un qui n'entend pas ?) : c'est laborieux, ardu, ces mômes n'étant que des mômes, avec leur patience limitée et leurs énervements. Les profs, d'une patience d'ange, ont le mérite de travailler dans des classes finalement très bruyantes, pleines de cris et de bruits de chaises ; eh oui, les mômes ne se rendent pas compte du bruit qu'ils font...  Mais peu à peu, ces efforts portent leurs fruits, et Wiseman parvient magnifiquement à filmer ces minuscules victoires sur le handicap qui illuminent les visages des enfants et celui de leurs profs : arriver à prononcer "shoe" correctement est un triomphe. On pénètre de plus dans les secrets de la langue des signes, que Wiseman filme dans toute son étrangeté, nous faisant éprouver concrètement l'altérité de cette langue. Sans jamais céder à la facilité de sous-titrer ce langage, il en accepte les codes obscurs. On accroche par-ci par-là à un mot (moi, ça y est, je sais dire "lumière"), mais on est le plus souvent admiratif de la gymnastique de ces mots, et on regarde ces gens s'agiter comme des beaux diables dans le cadre avec fascination.

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La partie suivante viendra amener un peu d'ombre au tableau. Au travers d'une entrevue avec la mère d'un des élèves, dépassée, effrayée par ce fils qu'elle ne comprend pas, on étudie un cas particulier qui parvient à parler du général : un enfant ne s'adapte pas au centre, menace de se tuer. On comprend alors, parce que Wiseman filme ce cas dans la longueur, que l'enfant est rejeté par sa famille, son père l'ayant laissé tomber, ses frères et sa mère n'ayant pas pris le temps d'apprendre le langage des signes. A la dérive, ce garçon est un aveu criant du refus d'accepter les handicapés dans le monde. La parole bienveillante et juste du directeur du centre (personnage admirable) finit par lui redonner une bribe d'espoir, mais on sent que le travail sera long. Comme à son habitude, Wiseman tente de réaliser un portrait pertinent du milieu : tout n'est pas blanc, tout n'est pas noir. C'est dans la longueur qu'il parvient à nous faire comprendre réellement les grandeurs et les impasses du système. La troisième partie, moins captivante, montre ces enfants balancés dans le monde "réel", avec succès finalement : qu'ils discutent entre eux (et c'est tout un catalogue de signes de séduction, d'amitiés, de rejet qui se met en place) ou qu'on les voit dans leurs activités professionnelles (en partant du cas des profs, on arrive au métier d'interprète), les sourds s'adaptent, et les activités du centre s'avèrent payantes. On a un peu de mal à voir où Wiseman veut en venir avec ce très long discours final (un riche donateur qui fait un discours puant le réactionnaire et l'indifférence), si ce n'est qu'il vaut mieux entendre ça que d'être sourd ; mais on apprécie une nouvelle fois cette partie, qui montre les sourds vivre normalement, faire du sport, s'aimer, rire et travailler comme tout le monde. Belle réussite, comme d'hab.

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