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8 avril 2020

Travaux occasionnels d'une Esclave (Gelegenheitsarbeit einer Sklavin) d'Alexander Kluge - 1973

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Pas si facile de mener la révolution quand on est une femme mariée, avec enfants et soucis domestiques, et quand on a pas les moyens de ses ambitions. Roswitha Bronski va en faire la cruelle expérience : adepte des films soviétiques et héritière sûrement des films maoïstes de Godard, la jeune femme se sent à un tournant de sa vie, et décide d'être contre. Elle l'était certes un peu avant, mais sans réelle conviction politique, plutôt pour de bêtes raisons domestiques : en pratiquant des avortements clandestins, elle ramenait du fric au foyer, point. Et son mufle de mari en profitait bien, lui qui refusait de s'occuper des mômes et lui envoyait de secs reproches sur sa gestion du foyer. Mais au moment où sa clinique ferme, la belle se sent une âme de révolutionnaire, et, après quelques hésitations sur la cause à défendre, décide de s'intéresser à une usine soupçonnée de vouloir se délocaliser au Portugal : discussions enflammées avec les journalistes, pressions sur les dirigeants, tentatives de persuasion des ouvriers pour se mettre en grève, collages nocturnes de tracts, apprentissage de chansons de Brecht, toute la panoplie de la petite marxiste du dimanche est là... mais rien à faire : Roswitha se heurte à la trivialité de la vie, et ses coups de gueule tombent à l'eau.

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C'est avec une cinglante ironie que Kluge filme ce pathétique cas : d'abord empreint d'un féminisme vibrant, le film prend les apparences d'un pamphlet pour les femmes et leurs droits. Les disputes domestiques du couple montrent une Roswitha en train de couler, de baisser les bras devant le côté obtus de son mari, et le couple menace de couler. Pourtant, elle est un personnage fort et concerné : les avortements, filmés en gros plan dans un geste cinématographique pour le coup très soixante-huitard, sont montrés comme un acte de rébellion, tout comme la lutte de la belle contre l'injustice du milieu médical. Il y a un réel héritage de la Nouvelle Vague française dans cette façon de filmer en totale liberté, de montrer ce qui était caché jusque-là (les avortements, les disputes de couple, l'emprise masculine), et dans ce caractère révolutionnaire si cher à certains de ses membres. Mais à la moitié du film, Kluge démontre avec une rage et une ironie très âpres l'impossibilité de se révolter dans un monde définitivement voué au profit des uns et à l'acceptatio des autres. Les combats de Roswitha, certes nobles, apparaissent dérisoires au milieu du chaos ambiant : changer le menu des cantines ou résoudre le problème des décès d'enfants sur la route ne pèse pas grand-chose face aux grands mouvements mondiaux, et son indignation se heurte aux sarcasmes un peu compréhensibles des hommes qui la reçoivent. Quand elle choisit enfin une cause un peu plus grande, c'est pour se confronter à l'inertie des ouvriers, aux mensonges des patrons et toujours à l'énervement du mari. L'aventure de la jeune femme se termine d'ailleurs pathétiquement par un renoncement et un retour à la case départ. Kluge montre tout ça dans un noir et blanc granuleux très urbain et dans un montage heurté qui marque des points, le rythme du film étant impeccable ; tout comme son humour (très noir) et sa colère, qui transpire à chaque plan, de voir cette femme maltraitée, niée, humiliée, occultée, mais bien souvent responsable de sa propre peine. Un film triste et désespéré, mais dynamique et souvent drôle, équilibre difficile à trouver, et parfaitement exprimé.

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