Paysage de 17 ans (17-sai no fūkei : Shōnen wa nani o mita no ka) de Kôji Wakamatsu - 2005
Ça faisait quelques temps qu'on n'était pas allé faire un tour dans le cinéma ovniesque de Wakamatsu. J'ai donc choisi ce film issu d'une période moins connue de sa filmographie, les années 2000. Le temps n'a pas assagi notre bon bougre, puisque voici un film qui fait de la radicalité son cahier des charges, et prend tout son temps pour bien nous faire ressentir qu'il passe (le temps). La trame, minimaliste : un ado, dont on comprend peu à peu qu'il a assassiné sa mère, entreprend un périple, ou une fuite, peut-être, à travers la région sur son vélo. Point. L'essentiel du métrage est composé de plans sur notre gars pédalant dans des paysages souvent enneigés, parfois côtiers, et par cette lente méditation / hébétude qui s'installe dans l'esprit du spectateur : on peut appeler ça contemplation, si on veut. Parfois ponctué de monologues de gens croisés sur le chemin (des braconniers, un vieille que le jeune homme aide à rentrer chez elle, un vieux qui raconte ses années d'après-guerre), de temps en temps rythmé par des inscriptions absconses à l'écran façon haïkus, voilà un film qui ne cède pas un pouce de terrain à qui que ce soit, jusque dans sa musique (sublime découverte que ce Kazuki Tomokawa, chanteur rauque et de toute évidence malheureux comme une pierre, à la musique toute cabossée dont on ne sait jamais si elle est ridicule ou poignante ; moi j'ai opté pour la deuxième solution). Le film ne montre qu'un type qui fait du vélo, et c'est à nous d'imaginer, par la musique, par la mise en scène, par les paysages surtout, ce qui se trame dans la tête de cet adolescent mutique, qui ne dira pas un mot de tout le film, mais dont on apprendra qu'il a bien un but. Étonnant comme un tel procédé radical peut déclencher l'émotion, la plus dominante étant la colère, mais ses variantes pouvant être l'apaisement, la sensation d'appartenir au monde, la bienveillance, l'effort, etc.
Il est vrai pour autant qu'il peut aussi déclencher l'ennui : à moins d'être dans une humeur très rêveuse, vous devriez forcément décrocher à un moment ou à un autre, et Wakamatsu le sait, qui allonge démesurément ses plans pour saturer notre esprit de ces images toujours recommencées. Malgré tout, on se dit que l'ennui fait aussi partie du programme, et on regarde avec bienveillance cette errance un peu wendersienne le long de ces splendides paysages japonais : océan sauvage, campagne enneigée, torrents de pluie, montagnes arides. Et puis il y a ces rares scènes de rencontres, qui en disent finalement long sur l'état du pays et de sa jeunesse, donnant sans être lourde une signification au geste du jeune homme : la génération d'après-guerre n'a pas su reconnaître ses torts, et le Japon vit aujourd'hui dans une culpabilité qu'il refuse de voir, qui peut mener à cette violence déréalisée qui a visiblement frappé notre cycliste. La scène du vétéran, notamment, est belle parce qu'elle est longue et subtilement mise en scène, avec ces zooms avant qui s'enchaînent toujours selon le même principe sur le visage du vieux. Le montage du film, tout aussi rigoriste, déploie avec adresse toute une grammaire de mise en scène, alternant plans de dos, plans de face, plans de profil avec une régularité d'horloger suisse, enfermant encore un peu plus le héros dans son monde schyzophrène, et l'inscrivant du même coup dans le décor qui l'entoure. Bref, si vous êtes en grande forme et ne rechignez pas à vous emmerder un peu de temps en temps, voici lefilm qu'il vous faut.