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21 mars 2020

La Chasse (Jakten) d'Erik Løchen - 1959

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Un statut de classique du cinéma norvégien pas usurpé, si vous voulez mon avis. Ce Erik Løchen, que je ne connaissais pas jusqu'à maintenant, est indéniablement doté d'un regard très personnel, et parvient à transformer son histoire un peu boulevardière de trio amoureux et de tromperie conjugale en un essai étrange, bizarrement hanté, en tout cas originale à souhait. Au départ, donc, une situation d'une banalité à pleurer : Guri est mariée à Bjorn et le trompe avec Knut. On sait dès le départ qu'il va y avoir mort d'un ou de plusieurs des protagonistes, puisque le film s'ouvre sur un cortège funèbre. Qui va mourir, comment et pourquoi ? Ultra simple, cette trame va occuper tout le film qui se déroule lors d'une partie de chasse organisée par nos trois personnages, dans le décor épuré d'un coin de campagne norvégienne. C'est le premier truc qui frappe dans ce film : le décor, beau mais complètement dépourviu d'aspérités, comme unevpage blanche sur laquelle peuvent se déchaîner (ou pas) les passions amoureuses : une garrigue plate, lieu idéal pour placer ses trois cobayes dans un dispositif presque abstrait.

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La passion n'éclatera pourtant jamais chez les trois loustics embringués dans cette histoire de soupçons, de tromperies, de vengeance : il ne faudra pas compter sur les acteurs, dirigés dans le jeu le plus froid et le plus inexpressif possible, pour mettre de la fièvre ou de l'hystérie là-dedans. Très nordique, Løchen préfère laisser le soin à son spectateur de plaquer sur les faits et gestes pratiques du trio les sentiments qu'il veut, qu'il soupçonne, qu'il appelle. Dans ce décor beckettien, désespéré malgré son côté pastoral, seuls les chiens et le gibier semblent s'ébattre en liberté, les premiers dénichant le second, qui vient butter contre les coups de fusil des personnages, perdus, ailleurs, qui semblent tuer sans s'en rendre vraiment compte. La tension monte doucement, en surface rien ne bouge, et il y a quelque chose de brechtien dans cette mise à plat d'une situation pourtant a priori chargée en émotion. Le film accumule les scènes privées de sève, comme dans un théâtre de l'absurde (favorisé par cette mise en scène très distancée), et pourtant tout ça est gonflée de violence, de non-dits, de tension. Voire même, c'est toute la qualité de la chose, d'humour. : ces personnages bourgeois et déprimés apparaissent souvent pathétiques et dérisoires dans leurs soucis, et le regard de Løchen sur eux (notamment Bjorn, le mari) n'est pas dénué d'une ironie cinglante.

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Cette sensation de mise à distance est augmentée encore par une idée assez géniale qui rend le film vraiment unique : l'usage de la voix off, de l'aparté et du monologue, là aussi très théâtral, se fait dans un dispositif savant et complexe qui marque franchement des points. En gros, le film est commenté par une voix off, qui intervient subitement dans le récit pour questionner les personnages, les mettre en porte-à-faux, les surprendre ; et ils prennent alors la parole, parfois directement avec un autre personnage, mais parfois aussi en s'adressant à ce narrateur omniscient et omnipotent, c'est-à-dire au spectateur lui-même, dans un curieux jeu de regards caméra et d'interviews. Voilà qui ajoute encore une couche de moquerie et de froideur au film, qui le transforme en farce presque funèbre sur un certain état de la bourgeoisie norvégienne. Au final, La Chasse est un moment étrange, mi-moqueur mi-tragique, subtilement mis en scène et développant un ton unique, un peu à mi-chemin entre un Bergman et un Renoir. Conquis, aucun doute.

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