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5 mars 2020

L'École des Femmes (Hustruskolan) d'Ingmar Bergman - 1983

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Peut-on vraiment compter ce téléfilm dans les oeuvres de Bergman ? Moi je dis oui, même s'il est le résultat d'une aventure un peu compliquée. La mise en scène de la pièce de Molière pour le théâtre n'est pas de lui, mais de Alf Sjöberg ; celui-ci étant décédé pendant les répétitions, les comédiens ont repris le travail en tentant de rester dans son esprit, et le brave Ingmar, en hommage, en a fait cette restitution filmée. Bien. Inutile, m'est avis, de chercher la trace du génie bergmanien dans cette oeuvre qui ne s'efforce que de restituer le plus précisément possible le travail du metteur en scène. Mais il y a toutefois des éléments attachants qu'il faut mentionner. Le maître s'empare du matériau théâtral pour en faire un véritable film. Ni tout à fait restitution ni tout à fait cinéma, L'Ecole des femmes brouille agréablement les frontières entre les deux arts. Si pour la majeure partie du film, on est bien dans les conventions théâtrales, avec les décors en carton pâte, les apartés, les monologues face public, si Bergman nous rappelle sans arrêt qu'on est bien dans l'artificialité, faisant apparaître ici un bout de bord de scène, là un technicien chargé du bruit du vent, il sait aussi nous surprendre parfois par son utiilsation de la grammaire du cinéma : l'art du montage, la science du champ/contre-champ et du gros plan s'expriment aussi là-dedans. Pourtant, jamais on ne quitte véritablement la salle de spectacle, et c'est une des qualités du film : on est bien dans une représentation, avec ce que ça comporte de charme dans le jeu des acteurs ou dans les petites trouvailles de scène.

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Difficile de commenter véritablement le travail de Sjöberg dans l'adaptation de Molière : j'ai vu le bazar en suédois, et je possède relativement mal la langue (je ne sais dire que "Krisprolls", en fait). Mais on note quand même qu'il a su couper à bon escient cette pièce parfois maladroite avec ses trop longs monologues ou ses digressions inutiles. Il revient à l'os de la pièce, et au plus près des sentiments. Au début du film, on tique pas mal devant le jeu des acteurs : un Arnolphe farcesque, grimaçant, ridicule, dans tous les clichés du barbon, et manquant de finesse dans l'expression de la jalousie, de la toute-puissance masculine ; une Agnès dindasse comme pas possible, pas sexy pour un sou. Seul Stellan Skarsgård, alors tout jeune, est super dans le rôle pourtant ingrat du jeune premier : à la fois ridicule dans son collant moulant et son romantisme à deux balles et magnifique physiquement, bondissant tel un gymnaste à tous les coins de la scène, il incarne merveilleusement cette jeunesse irrépressible que combat fermement le vieil Arnolphe. En tout cas, le fameux acte II (celui du petit chat mort) est paumé à cause de ce choix douteux de tout transformer en farce : la niaiserie d'Agnès et le ridicule d'Arnolphe en annulent l'ambuiguité, y compris sexuelle.

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L'essentiel de la pièce se déroule ainsi, assez agréablement parce que malgré tout les comédiens ont de la bouteille, mais avec cette impression d'un metteur en scène qui est allé au plus rapide dans l'analyse de la pièce. Fort heureusement, il y a l'acte V, non seulement un des sommets de l'écriture moliéresque, mais aussi une réhabilitation complète de ce film. La scène se plonge soudain dans l'obscurité, les personnages deviennent plus sombres, plus ambivalents, et le sens de la pièce prend ainsi toute son envergure. Beaucoup aimé dans cette partie la métamorphose d'Arnolphe qui de cocu ridicule devient homme blessé, tantôt menaçant tantôt anéanti ; bien aimé celle d'Agnès, sotte convaincue de sa sottise, mais qui se dresse face à la barbarie de ce Mâle dominant qui la veut pour lui ou la tuer ; bien aimé cette torve ambiance à la limite du sadisme, qui montre un Horace et une Agnès obsédés par la passion qui les anime, face à un Arnolphe qui refuse de voir l'amour à l'oeuvre devant ses yeux ; bien aimé ce fémisnisme étonnant en ces années-là (mais guère surprenant en Suède), cette lecture de la pièce par le prisme de la domination masculine parfois brutale et violente. Bref, cet acte vire parfois à la tragédie, ce que Sjöberg et Bergman ont parfaitement compris (après la prestation, dont je garde un souvenir ému, de Bernard Blier dans le rôle d'Arnolphe, qui avait compris la même chose). Et on se retrouve tout ému face à ce spectacle qui a fait traverser les frontières à notre Ecrivain National.

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Ingmar à bout : ici

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