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4 mars 2020

Rêve de Singe (Ciao Maschio) de Marco Ferreri - 1978

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Grave crise dépressive, semble-t-il, chez le Ferreri de la fin des années 70, en tout cas si on en croit ce film étrange et assez beau. Le bougre n'a jamais été un joyeux drille, malgré l'aspect farcesque de ses films, mais avec Rêve de Singe, il se livre à une douloureuse variation sur la perte des valeurs masculines, et le fait en utilisant un style quasi-morbide qui vous pénètre comme une pluie crasseuse. Dès le départ, quand on découvre notre Gérard se réveillant au milieu d'une ville déshumanisée envahie par des gens en combinaisons et masques, on se dit qu'on va pas rigoler, et qu'on vient d'atterir en plein cauchemar. Ensuite, quand il s'avère que ces gusses sont des dératiseurs, on ne respire guère mieux. Après ça, le film va être une succession de scènes où le Mâle du XXème siècle va sans cesse vaciller sur ses convictions, et où l'être humain dans son ensemble va se trouver voué aux gémonies, résumé à ses quelques tares et à ses pitoyables pulsions.

Ciao_maschio

Depardieu traîne en effet sa dégaine et son charisme déjà parfaitement en place dans un univers déréalisé (un New-York brumeux, écrasant) et effrayant : un musée de cire un peu minable consacré à l'Empire romain, manière de renvoyer le mode contemporain à ses racines puissantes et dominatrices ; les répétitions d'un spectacle féministe autour du viol au cours desquelles notre Gégé va à son tour se faire violer ; une plage où il accompagne un groupe de vieillards agités (un musicien de jazz, une ancienne beauté, un vieux libidineux (Mastroianni)) ; son appartement envahi par les rats, et au mur duquel trône le graffiti ultime : un "WHY ?" bien défaitiste, qui donne le la à l'ensemble du film. Gérard va découvrir dans les mains d'un grand singe échoué sur la plage (...) un petit chimpanzé qu'il va adopter, lui conférant même une identité humaine qui compense son incapacité à faire un enfant à sa fiancée. Dès lors, il va promener ce singe dans ces décors misérables, brouillant les pistes de ce qui est humain et de ce qui ne l'est pas.

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On est dans le style Ferreri en plein : c'est brouillon, trivial, sexué, excessif, punkoide, parfois de mauvais goût, parfois bizarrement poétique. Mais l'impression qui domine, c'est la puissance de ses symboliques quand il s'agit de parler de l'effondrement de la civilisation. Qu'il s'agisse des hommes, immatures, irresponsables, veules, machistes, réfléchissant plus avec leur bite qu'avec leur cerveau, ou des femmes, furies, autoritaires, enfermées dans leurs principes romantiques éternels, castratrices, tous les personnages de Rêve de Singe sont moches et définitivement perdus, et emprisonnés qui plus est dans un univers triste et déréalisé. Seul Cornelius, le fameux petit singe, semble épargné par la gabegie ambiante, et finira d'ailleurs dans une triste mort. Le film est souvent drôle, oui, mais c'est un humour mélancolique, noir, hyper-caustique jusqu'au cynisme. Depardieu semble l'acteur idéal pour symboliser cet homme viril moderne, à la fois puéril (ses regards d'enfant, ses rires naïfs, sa passion pour le singe, ses instincts primaires) et dangereux (sa musculature, ses brusques accès de colère, son égoïsme, son indifférence à tout). De fait, il est assez prodigieux, présent à chaque plan, manipulé par un film qui le malmène pas mal. Face à lui, Ferreri place quelques personnages grimaçants d'où ressort bien sûr l'immense Marcello Mastroianni, à l'autre bout du prisme masculin, obsédé sexuel, impuissant et frustré, mais toujours touchant. L'impression est qu'on est au bout du bout d'une certaine vision de la société, une fin du monde qui ne se fait pas sans douleur : Ferreri se fouette lui-même en montrant une société archaïque, uniquement guidée par les hommes, et qui arrive en bout de course, pour être remplacée par... une société peut-être pire encore, asexuée, sans émotion et sans sens. Un constat sans appel pour un film glaçant.

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