... And the Pursuit of Happiness (1986) de Louis Malle

Voilà un doc pré-Trump qu'il serait bon parfois de ressortir puisqu'il concerne les diverses populations qui ont migré aux States, leur intégration culturelle, professionnelle, leur réussite, leur échec, leur effort pour apprendre la langue (et nous revoilà dans la linguistique, youpi), etc... Sans tabou, sans gêne, Malle interroge les Cubains de Miami, les personnes des ghettos blacko-asiatiques, les Russes de Little Odessa, les Ritals, les Ethiopiens, les Costa-Ricains, les Mexicains, les "Arabes" (oui, c'est moins précis pour eux) ou encore, les derniers arrivants, les Cambodgiens. Certains font tout pour garder un lien avec leur culture et leur langue d'origine, d'autres prônent l'intégration ricaine absolue (la réussite = le business = le fondement dans le moule capitaliste). Des histoires de réussites fulgurantes (ce Costa Ricain naturalisé qui s'envole dans l'espace ; des Asiats qui n'ont que l'embarras du choix dans la poursuite de leurs études dans les plus grandes facs ricaines), des méthodes pour s'intégrer (linguistiquement) relativement bourrines (repeat after me "I want to eat a hamburger" - brrrr), des frontières poreuses (le Mexique, forcément) qui finissent par poser des problèmes parmi les migrants eux-mêmes (payés au lance-pierre dans un premier temps (vive le libéralisme) et maintenant même plus employés).

On sent au départ une certaine volonté, plutôt optimiste, chez Louis Malle, de se pencher sur des cas d'individus qui ont fait leur trou - sans parler de population entière comme les Cubains à Miami qui ne font plus guère figure de minorité (c’est l'intégration absolue : ils sont parvenus à imposer son carnaval) ; certains pratiquent leur art (quoi de mieux qu'un Russe pour revenir aux racines de la méthode de Stanislavski), d'autres sont des perles scientifiques ou des rois de l’investissement (un resto = une chaîne). Malle, tout de même, nous montre certains endroits où la joie de vivre (le rêve ricain !) n'est guère au rendez-vous : mettre des Asiats avec des blacks pour créer des tensions, pourrir l'endroit et finalement tout raser pour construire des lotissements pour les riches (une stratégie pleine de bons sentiments) ; de même, sans l'aide d'un ancien réfugié Cubain, certains personnes d'Amérique du Sud qui vivent dans des baraques de fortune, crèveraient la dalle... Malle semble vouloir faire feu de tout bois et livre un doc assez riche qui s'intéresse par sauts de puce à de multiples individus, de multiples parcours de vie - tels ce Viet devenu docteur dans le Nebraska : malgré les conditions difficiles, le type s'accroche à cet endroit comme pour donner le change à ceux qui l'ont bien accueillis (un peu d'humanité dans ce monde virusé, ça fait chaud au cœur). Ce pays s'est de toute façon construit (comme la plupart, certes) par l'afflux de migrants mais l'on sent déjà en ce milieu des années 80 que la petite flamme de la Statue de Liberté commence à donner des signes de faiblesse : on oublie (d'après l'analyse pêchu d'un officiel) qu'elle tient dans l'autre main un livre de loi : à force de faire n'importe quoi avec les migrants (l'exploitation de la main d'œuvre en particulier), on a forcément fini par déréguler tout un système. Des winners, des losers, des vagues qui moussent ou qui s'écrasent - c'était encore un temps (hallucinant cette discussion cordiale entre un chargé de la sécurité américaine et un migrant mexicain qui vient de se faire prendre !) où il y avait tout de même encore un soupçon d'illusion optimiste dans ce melting pot ricain (on nous enfonçait bien la tronche, à cette époque justement, avec cette notion au collège) et où certains individus installés avaient encore un peu d'humanité envers leur prochain. Tout est mort today ? Mais non le coronavirus montre parfaitement aujourd'hui l'élan de solidarité entre les peuples. Un bel angle d’approche (la multiplicité des cas) sur un problème complexe : un doc utile sur les avantages et les inconvénients de se faire la malle.