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19 février 2020

El Otro Cristobal d'Armand Gatti - 1963

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Pendant que ses petits camarades Varda, Godard ou Marker allaient filmer Cuba le poing en l'air et sanctifiaient la révolution, Gatti, plus original, moins directement politique, y allait lui aussi de son long métrage sur le sujet, mais beaucoup plus dans sa veine, poétique, visionnaire et lyrique. Il en résulte El Otro Cristobal, un film tout accidenté et souvent très chiant, mais qui recèle ça et là quelques élans assez fulgurants et d'authentiques morceaux de poésie. Difficile de résumer la trame hautement barrée, mais disons qu'il est question justement de révolution, de l'avènement d'un nouvel homme providentiel et de son combat pour arriver (ou pas) au sommet de l'état ; en l'occurrence l'état est symbolisé par une sorte de territoire post-mortem, des limbes en quelque sorte, qui va rentrer en conflit avec l'île, ses habitants, ses coutumes et ses beautés. D'un côté donc, un monde baroque, extrêmement stylisé, felliniaque ; de l'autre le merveilleux et le naturalisme de Cuba ; le "bon" étant bien entendu le deuxième, puisque tout humain et nationaliste.

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Quand le père Gatti abuse d'onirisme (et d'opiacées), il se plante : toute la première partie est péniblement spectaculaire à tout prix, et on s'ennuie ferme devant ces élucubrations brassant des oiseaux empaillés et des écrans géants dans un au-delà fabriquée par une poésie surannée. Le film a beaucoup vieilli dans cet aspect-là, et Gatti a beau multiplier les jolis costumes et les plans tordus, on se lasse franchement de cet imaginaire à la Prévert. Comme on ne comprend goutte à la trame et que le cinéaste a une fâcheuse tendance à être répétitif, comme l'impression est grande de rentrer dans un cerveau mais aussi d'en être exclu, on se dit qu'on ne tiendra peut-être pas les 110 minutes (et on compatit en pensant aux spectateurs lors de la sortie à Cannes, puisque le film faisait 5 heures). Ça et là, le film est pourtant traversé de vrais beaux plans de cinéma, ce qui nous fait tenir.

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Heureusement, la deuxième partie, qui attaque enfin la révolution et les combats menés par l'armée populaire de Cristobal, est beaucoup plus intéressante. Non pas dans la trame, toujours aussi confuse, mais dans la mise en scène et la cohérence de la vision de Gatti. Côté mise en scène, outre l'aspect vraiment spectaculaire de ce noir et blanc enfin sorti de ces décors fatigants et qui déploie sa beauté dans les espaces extérieurs, il faut reconnaître que Gatti ne s'épargne pas pour tordre ses plans et leur donner un aspect hyper visuels : les lignes de fuite se perdent complètement, la caméra est rarement droite, et chaque petit recoin de l'écran est sans cesse occupé par un figurant. Le point culminant est la cérémonie d'enterrement de la Vierge, avec ces paysans frappant l'eau de leurs bâtons et ce cercueil qui coule doucement dans l'océan : une manière d'occuper l'espace de l'écran avec mille petits détails, de saturer son plan de motifs, le tout dans une énergie contagieuse. Certes, c'est baroque jusqu'au trop-plein, mais on voit bien que Gatti, quand il se sépare de ces plateaux de studio un peu mégalo, sait filmer les groupes, les paysages cubains, la liesse, la foule. Il ne le fait jamais naturellement, poétisant sans arrêt le moindre figurant et le moindre objet ; mais il le fait avec une vraie conscience du pays, développant un style "réaliste poétique" qui colle bien avec Cuba. Le film prend alors des airs d'hmmage au pays lui-même, et on est convaincu par cet usage d'une sorte de merveilleux naturaliste, qui convoque la magie, la croyance autant que la rudesse paysanne et les traditions festives de Cuba. Finalement, Gatti a tout autant voire mieux compris le pays que ses compères maoistes, malgré son abord tout en style et en excès de la révolution à travers son film.

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