Constance Debré est lesbienne, urbaine et d'aujourd'hui ; elle fut une grande bourgeoise, puisque fille à papa et avocate ; elle fut incluse dans cette société, puisque mère d'un enfant. Mais aujourd'hui, elle en a marre, et décide de tout balancer par la fenêtre : son sentiment maternel, la notion d'amour, son ex, sa carrière toute tracée, son statut social, son besoin de fric. Elle nous fait partager cette expérience dans ce livre, bien entendu soigneusement trashouille et rock'n roll puisqu'il s'agit d'un livre écrit par une lesbienne urbaine d'aujourd'hui ayant choisi de tout larguer pour emmerder ta grand-mère et montrer qu'elle est libre. Le moins qu'on puisse dire est que Love me tender rentre dans le cahier des charges obligatoire du genre. Debré ne s'épargne pas pour nous montrer comme elle est hors-norme et punk dans ses idées : oui, elle refusera ce rôle de maman qu'on veut lui attribuer, quitte à perdre de vue son fils (confisqué par un ex-mari rendu fou par le divorce et l'homosexualité de sa femme) ; oui, elle fera la liste de ses maîtresses d'un soir, et ne se gênera pas pour dire que le sexe, c'est tout pourri, comme l'amour et les rapports humains ; oui, elle squattera chez ses potes, profitant de leur fric et de leur appartement jusqu'à ce qu'elle se lasse. Voyez un peu la punk à chiens, elle a même un tatouage "Fils de pute" sur son ventre, alors imaginez. C'est pas elle qui va vous écrire un roman avec des phrases agréables à lire ; non, elle, elle va faire des phrases très courtes, employer un style télégraphique tout sauf sexy, parsemé de saillies populaires et de gros mots, attends, fuck la société, quoi. Et nous, on lira ça, avec en fond comme une injonction d'admirer totalement cette femme libre, qui ne vivra jamais comme nous et avec nos pensées confortables, et d'avoir un peu honte finalement de n'être que nous et non pas Constance Debré. C'est ça, le livre : un portrait raide dingue de l'auteur qui renvoie tous les autres dans leur trivialité.
Le roman ne cesse de se placer au-dessus de son lecteur, très sûr de son bon-droit et de nous considérer comme des moins-que rien d'avoir choisi la voie classique et de ne pas nous être fait tatouer le ventre, même si son auteur fait semblant de s'abaisser ou de se la jouer hésitante. Dans un premier temps, on apprécie plutôt cette écriture moche, qui ne cherche pas à éblouir, et cette posture originale face à la vie et aux obligations sociales : le livre se lit très rapidement, et Debré possède un vrai sens du rythme, de la phrase qui claque, de la musique. Parfois, elle touche juste dans la simplicité du style, nous offrant quelques formules pas mal balancées. L'impression de lire les paroles d'un rap de garage, quoi. Mais peu à peu, on comprend que cette écriture obéit à des buts pas très nobles, et l'in-sincérité de Debré apparaît : la dame voudrait bien être Despentes, entrer dans le cercle fermé des lesbiennes punks qui démontent la littérature contemporaine, et donne tout pour y parvenir. On se lasse bien vite de cette posture d'adolescente insolente en pleine crise, on se met parfois à donner raison au mari de vouloir soustraire son fils à ce monde-là, et on ajoute Debré à la longue liste des filles qui jouent à être rebelles mais qui n'ont que la gueule (Castillon, Delaume...). Certes, c'est intéressant, cette histoire de femme qui décide de vivre selon ses envies et pas selon ce que lui dicte la société ("Puisque rien ne m'oblige...", dit-elle), mais c'est fait avec une telle application à nous choquer (sans jamais y parvenir) qu'on décroche bien vite de cet énième roman nombriliste et malpoli-pour-les-vieilles.