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18 février 2020

L'Angle mort de Pierre Trividic & Patrick Mario Bernard - 2019

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Après quelques années d'absence beaucoup trop longues à mon goût, revoilà le duo infernal Trividic et Bernard, toujours aussi singuliers, aussi cérébraux et aussi fascinants. C'est vrai que c'est un peu décevant de les voir revenir au cinéma par une porte aussi classique ; mais malgré l'inflation de caractère, on reconnaît toujours nos deux bougres et leur vision décalée du quotidien et des rapports humains. Après Annie Ernaux, c'est à Emmanuel Carrère qu'ils s'intéressent ici : belle continuité de style, et beau retour en terres fantastiques, puisque Carrère cultive ce goût pour un fantastique quotidien (La Moustache, Les Revenants) du meilleur effet. Voici donc Dominique (Jean-Christophe Folly, une sorte de présence-absence intéressante, ni tout à fat juste ni tout à fait faux, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors), petit mec sans envergure, vendeur de guitare alors que papa était musicien, aucune ambition alors que sa soeurette lui jette des regards noirs. La seule spécificité de Dominique, c'est qu'il sait se rendre invisible, depuis tout petit. Un don d'ailleurs qui tend aujourd'hui à s'essouffler, à perdre de sa facilité d'exécution. En gros, le gars a de plus en plus de mal à disparaître, ce qui ne lui pose pas de problème, puisque, et c'est là le sujet du film, il n'a jamais su trop quoi faire de ce super-pouvoir. Il a bien de temps en temps maté des filles mais mollement  : Dominique est un super-héros qui n'utilise pas son don. Il rencontre un ami d'enfance, Richard (Sami Ameziane, pas mal du tout), qui a le même don que lui, et on apprend alors qu'il y a toute une communauté d'hommes invisibles, qui utilisent leur don pour faire peur, s'enrichir ou commettre des meurtres. Entre temps, il rencontre aussi Golshifteh Farahani, aveugle, et se rend compte qu'elle est peut-être la seule à correspondre à sa triste vie.

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Dit comme ça, on a l'impression que le film pourrait être trépidant et plein de suspense. Mais point de ça avec Trividic et Bernard : à la place des effets spéciaux spectaculaires, on a un acteur visible à l'écran mais invisible aux yeux des autres, simple mec à poil qui passe au milieu des gens sans trop savoir quoi faire. A la place du suspense, on a le récit déceptif d'un mec sans ambition, qui vit son don presque comme une malédiction, et qui ne l'utilise pratiquement pas. Pourtant le film est empreint d'une ambiance mystérieuse, lente, presque angoissante : à l'écran rien ne se passe ou presque, les scènes de Dominique invisible sont presque absurdes (disparaître pour aller mater la voisine... aveugle depuis la fenêtre du couloir) ; mais la mise en scène déploie toute une grammaire du plan décadré, du travelling avant lent, de l'ombre et de la lumière, qui à elle seule rend le fim hanté, comme habité, comme envahi par d'autres hommes invisibles. Par exemple, un des plus beaux plans, au tout début : un bébé pleure dans un couffin, la caméra descend un peu jusqu'à ce qu'il disparaisse à notre vue, le titre "L'Angle mort" apparaît, puis recadrage : le bébé a disparu. La réalisation multiplie ces plans carpenteriens, chargeant cette histoire en mystère alors qu'elle n'en contient que très peu, alors que le don est envisagé comme une excentricité pas très intéressante, alors que la vie de Dominique est d'une banalité totale. Ça fonctionne très bien pendant un bon moment, et puis peu à peu l'intérêt se relâche, parce qu'on comprend mal les motivations du héros dans sa relation avec l'aveugle, parce qu'on aimerait bien que le film raconte autre chose que ce désintérêt pour le don, parce qu'il accumule des personnages secondaires ennuyeux (Isabelle Carré, un magicien raté ou la mère de Dominique), parce qu'il préfère le style à la narration avec un peu trop d'application. Du style, il y en a, certes, et du bon, mais c'est au détriment d'un scénario qui part un peu en vrille ou ne sait pas exactement quoi raconter. On se contentera donc de regarder cet objet brillant, en regrettant que Trividic et Bernard n'aient pas fouillé leur belle idée de départ.

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