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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
7 février 2020

Spartacus de Stanley Kubrick - 1960

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Hommage éploré à une de nos idoles, et en même temps petite révision d'un des grands classiques du peplum, Spartacus fait bien plaisir à revoir, tant il est toujours bon de vérifier qu'à une époque, on savait envoyer du spectacle (certes convenu) sans trop se prendre la tête. Nous voilà plongé dans la Rome antique, mâtinée de grandes toiles peintes hollywoodiennes et peuplée de millions de figurants tout petits mais expressifs tombant comme des mouches sous les coups d'épée des légions romaines. 3h16 de grand spectacle total, une poignée de grands acteurs cabotinant, de la musique qui tonitrue et une mise en scène au taquet, on dit merci à Kirk, à l'origine du projet, et responsable de l'engagement de quelques techniciens parfaits (Kubrick aux manettes, Trumbo au scénario ou North à la musique entre autres). C'est l'histoire donc de Spartacus, brave esclave vendu comme gladiateur pour trouver la mort dans les arènes pour le plaisir de Romains nantis. Refusant son sort, il va se rebeller contre ses maîtres, et lever une armée d'esclaves pour s'opposer à la toute puissance de l'enpire. Leur but : traverser tout le Sud de l'Italie, libérer les esclaves croisés en chemin et fuir Rome par la mer. Mais face à eux se dresse Rome, représentée par une poignée de dirigeants pourris jusqu'à l'os par la vénalité, la jalousie, la mégalomanie et la gabegie politique. Notre Spartacus en fera les frais, ainsi que tous ses disciples, et finira sur la Croix, en ayant toutefois réussi in extremis à donner naissance à une génération d'hommes libres et fiers. Une sorte d'élégie pour la liberté, valeur éminemment américaine, et balancée façon grandes orgues dans ce film qui décuple chaque petit sentiment, chaque petit événement pour en faire un grand spectacle.

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A la tête de cet immense barnum, donc, Kirk Douglas, ses muscles saillants, ses costumes crypto-gay et ses grands yeux azur. C'est peu de dire qu'il donne tout dans ce rôle, aussi bien dans les scènes de bagarre, impressionnantes et très bien dirigées, que dans les scènes lyriques où il doit faire montre de son émotion (pourtant des scènes un peu kitchounettes et très conventionnelles, portées par Jean Simmons, assez fade) : le gars est très investi par le rôle, et on se dit que derrière le côté très attendu de ces scènes, il doit bien y avoir autre chose pour que l'acteur y mette tant d'application. On se souvient alors que c'est Trumbo à l'écriture, que Douglas était un mec de gauche, et on lit alors Spartacus comme une variation sur le droit à vivre libre, sur l'indépendance, sur la différence. Voilà sûrement une des raisons pour lesquelles le personnage de Spartacus revêt des oripeaux très christiques au fur et à mesure du film, devenant une sorte de Messie auquel se collent quelques fidèles disciples, accomplissant quelques miracles (ses victoires incroyables contre des légions entières), doté d'un charisme à toute épreuve, et filmé par Kubrick comme un prophète tout de sagesse et d'amour. Spartacus comme annonciateur de Jésus, il fallait oser, et le film ose tout, ne refusant aucun excès et aucun arrangement avec l'Histoire pour nous convaincre de son bien-fondé. D'un côté donc, on a des êtres parfaits, bons pères de famille, petits enfants trop mignons, femmes belles comme des coeurs, petits vieux qui se font des bisous sur fond d'herbe vert fluo, mené par un Spartacus autant fin stratège qu'adepte de poésie, autant parfait amoureux que fier face à l'adversité ; de l'autre, ces hommes tout vérolés qui constituent le staff romain.

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De ce côté-là, on a du pourri au kilo : entre Charles Laughton, stratège ironique et las, et Laurence Olivier, psycho-rigide et sadique, entre l'excellent Peter Ustinov, veule et cupide, et John Ireland, incompétent et profiteur, on a une belle brochette de salopards. Le film aime à se perdre dans les manoeuvres politicardes de ces dirigeants, montrant que le sort de milliers d'hommes tient bien souvent à une crise de jalousie d'un mec mal luné, ou à l'ennui d'une femme. Les deux mondes, irrémédiablement opposés dans tout, sont montrés en parallèle, l'un idyllique, l'autre immonde, et culminent avec les deux discours qui s'entremèlent la veille de la bataille, celui de Kirk tout de sobriété et celui d'Olivier tout de tonnerre. Bon, c'est vrai, les acteurs en font assez, cabotinant à qui mieux mieux et tirant la couverture à eux avec un peu trop d'application (le combat Olivier / Laughton notamment fait plaisir à voir). Mais c'est magnifiquement écrit, les dialogues sont fins et parviennent à être très clairs malgré leur rigueur (les grands mouvements d'armées, les tactiques politiciennes), et tout ça est tellement chargé de sentiments plus ou moins crapoteux qu'on ne va pas bouder son plaisir : c'est parfait. Parfaite scène toute de double-sens, en passant entre Tony Curtis et Laurence Olivier, où la préférence entre huîtres et escargots peut revêtir des significations toutes autres. Le contexte, en plus (Rome dans sa splendeur) est superbement rendu, grâce au soin apporté à la véracité de cet univers pourtant entièrement de carton-pâte. Un Romain y aurait sûrement perdu ses petits, mais on aime ces grands tableaux peints, ces costumes taillés au millimètre et chaque tout petit détail de la reconstitution de cette Antiquité fantasmée.

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Et puis il y a la dernière heure. Qu'est-ce que vous voulez, là, on n'a plus qu'à s'incliner et oublier tous les défauts du truc. Kubrick, même un peu bridé dans son style, même un peu impersonnel, fabrique une symphonie grandiose avec ces milliers de figurants qui se foncent dedans en hurlant, avec ces armées gigantesques qui se déploient, avec ces monceaux de cadavres, avec ces crucifixions par dizaines, avec cette façon de lâcher les chiens tous azimuts pour ne pas vous laisser le temps de respirer. Au milieu de tout ce tintouin, Kubrick parvient encore à mettre en valeur des scènes intimes joliment mélodramatiques (les fameux "I am Spartacus", la dernière confrontation avec Jean Simmons). Entre la musique de North, d'ailleurs balancée façon ouveryure d'opéra au début du film et pendant l'entr'acte, comme si on était là dans une fresque immense plus que dans un film, et l'impressionnante photo du truc, qui utilise le technicolor dans toutes ses possibilités, on sent bien que tout le monde a été dirigé avec un seul mot d'ordre : envoyez. C'est complètement respecté : le film envoie, et fait oublier toutes ses lourdeurs et ses schématismes par la puissance de sa production. Kirk, mes respects, tu es mort trop jeune.

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Commentaires
M
Et, en conclusion, ce bon mot de Kirk Douglas : "Stanley Kubrick est un sale con avec du talent" (cf. son autobiographie "Le Fils du chiffonnier")<br /> <br /> Est-ce parce que Kubrick avait supprimé une belle partie de ses dialogues ? (La première demi-heure est en effet quasi-muette pour lui, vous avez remarqué?)<br /> <br /> Oui, Douglas était un démocrate, de gauche (à l'américaine, disons)... Mais il faut tout de même noter que, contrairement à la légende (bien entretenue par Kirk Douglas lui-même), Douglas (producteur du films) n'est absolument pas "celui qui a fait retravailler, avant tout le monde, le scénariste blacklisté Dalton Trumbo sous son vrai nom". Preminger, huit mois avant, avait annoncé publiquement qu'il faisait travailler Trumbo sur Exodus... Mais comme Spartacus est sorti avant Exodus... <br /> <br /> Preminger a gardé un silence élégant. <br /> <br /> Peut-être pas inutile de rappeler que les artistes blacklistés étaient payés beaucoup moins cher.
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