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31 janvier 2020

LIVRE : Les Enfants des autres de Pierrick Bailly - 2020

9782818048115,0-6278595Curieux objet, à la lisière du fantastique, de l'horreur, du surréalisme à la Topor, que ce livre de Bailly qui vous arrive sur la tronche sans prévenir. Le gars prend pas mal de risques, dont celui de prendre toute la longueur du bouquin pour dévoiler ses intentions : le résultat est qu'on peut parfois être dubitatif devant ces délires lynchiens, convaincu même parfois d'être face à un de ces textes oniriques dont le contexte de rêve favorise le grand n'importe quoi et la porte ouverte à tout. Parfois le roman se permet ça, de jouer sur la déception : les aventures qui arrivent à ce brave Bobby sont trop folles, et on se dit que Bailly n'arrivera pas à les justifier au bout du compte, qu'il mettra ça à bon compte sur le dos de son caractère fantastique, et point final. Mais dans les dernières pages, on est assez soufflé par la cohésion de tout : oui, il y avait bien une raison à tout ça, même aux événements les plus dingues, et Les Enfants des autres apparaît au final comme une oeuvre non seulement originale mais hyper pertinente.

Difficile d'en parler sans révéler l'extraordinaire résolution du truc, mais essayons quand même : Bobby découvre que sa femme le trompe avec son meilleur ami, puis tout à coup qu'il n'a pas d'enfants. Ceux qu'il a toujours élevés, qu'il emmenait à l'école ou au parc, disparaissent de sa vie, et se trouvent être les enfants du fameux meilleur ami, Max. Ce glissement de terrain ébranle toutes ses certitudes, non seulement sur son état mental mais aussi sur son existence, son envie d'enfants, sa vie de couple, sa réelle identité. Abreuvé de tranquillisants, il glisse peu à peu dans un monde vaporeux et hors de la société des hommes... jusqu'à ce que... Bailly, mine de rien, réalise une variation sur les "Bodysnatchers", tout en restant dans une ligne très "P.O.L.", quotidienne et française, raffinée et épurée. L'écriture est factuelle, pleine de dialogues très directs, ne s'embarrassant jamais de considérations qui ne sont pas utiles à la trame ; mais derrière cette langue très behavioriste, on sent le caractère passionnant de Bob, son inadaptation sociale, sa folie. Il en ressort un mélange de drôlerie (le texte est souvent très marrant) et d'effroi, perdus que l'on est dans cette atmosphère brumeuse, sous tranxène, entraînés avec le narrateur dans son délire qui pourrait bien n'en être pas un. Bailly trouve une cohérence totale dans son histoire, alors qu'elle est complètement folle, et à la toute fin boucle la boucle d'un scénario que ne renierait pas un Lynch ou un Cronenberg. Le grand talent de ce livre est de nous laisser toujours du côté de Bob, qui glisse dans ses délires, de lui faire confiance : son regard sur cette société normée et sa volonté forcenée d'en faire partie malgré ses folies sont magnifiquement décrits, sans en faire trop, en restant toujours dans un style quotidien, presque invisible. Un livre sur le fil, qui prend le risque d'ennuyer, mais superbe si vous le tenez jusqu'au bout.

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