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Shangols
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11 janvier 2020

Une Vie cachée (A Hidden Life) de Terrence Malick - 2019

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Ah je le savais bien, pourtant, qu'il ne fallait plus que j'aille voir les films de Malick, que j'en ressortais à chaque fois avec de l'eczema et des envies de meurtre... Mais, dupé par les critiques qui disaient qu'on avait là un grand beau film qui renouait avec la veine la plus précieuse du gars, je suis rentré dans l'enfer de la salle de cinéma. J'en suis ressorti 3 heures plus tard baigné de la douce lumière du Christ, ceci dit, ça compense.

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Ça doit être très agréable de vivre dans la tête de Terrence Malick. Son imaginaire, depuis le calamiteux Tree of Life, est fait de petits enfants aux joues roses qui courent après des papillons, de jeunes filles qui agitent leurs mains douces devant le soleil et de beaux garçons qui contemplent cette création divine en souriant, une faux sur l'épaule pour honorer notre mère la Terre, et un chapelet autour du cou pour célébrer notre Seigneur. Ah certes, il y a bien quelques ennuis, mais la foi et la piété arrivent à bout de tout, et dans l'au-delà nos fautes seront lavées et, ô Djizeuss, nous pourrons retrouver l'harmonie et la source de toute joie pure. Là, en l'occurrence, les ennuis, c'est les nazis. Ils sont méchants, et pendant un moment, on croit qu'ils sont tellement négatifs qu'ils vont arriver à rompre l'harmonie des choses. En tout cas, ils font vaciller le héros, Franz : paysan autrichien sans histoire, son sens infaillible de la morale vacille quand on lui ordonne d'aller à la guerre et de jurer allégeance à Hitler. Franz n'a pas seulement un âne super propre et des vaches douces et paisibles, il a des convictions. Impossible pour lui de se soumettre, quitte à se mettre en danger lui et sa famille (des bambins dont on ferait des cadeaux Kinder, et une femme un peu simplette qui rit en lui jetant des mottes de terre). S'il refuse de s'agenouiller devant Hitler, il va être fusillé. Mais, ahah, il s'en fout, puisqu'il y a Dieu qui, dans Son infinie bonté, saura le conduire sur le chemin de la vie éternelle. Pendant de très longs mois (euh, ah non, trois ou quatre finalement), il va hésiter, subir et prier : sa conviction n'est-elle pas absurde, alors qu'il lui suffirait d'un mensonge et d'une concession morale pour échapper au gibet ? A quoi va servir son sacrifice, sinon à mettre sa femme au ban du village et à renoncer aux splendides images filmées depuis un hélicoptère sur les paysages autrichiens (beaucoup à base de champs de blé fauchés au carré et de grandes cascades) ? Ah mein Gott, pense-t-il (mais en anglais : les paysans autrichiens, visiblement, sont assez habiles à cette époque pour mélanger l'allemand et l'anglais), c'est trop bête, cette guerre. Mais tant pis, mourons comme Christ notre Seigneur, en se sacrifiant pour sauver tous les hommes.

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Une Vie cachée réinvente le concept de purge. Tout est pompeux, solennel et mormon dans cette vision de la vie et de la nature uniquement placées sous le signe de Dieu. Malick nous lit toute la Bible en son entier pour mieux nous faire ressentir le triste destin de son héros têtu et finalement perdant. C'est adapté d'une histoire vraie, et Malick voudrait ériger son Franz en héros moderne, fidèle à ses idées et prêt à mourir pour elles. D'accord, mais de mort lente, comme dirait l'autre : le sacrifice de Franz Jägerstätter aura été vain, n'aura finalement aidé personne. Qu'on filme un acte de résistance, là oui, je vois bien où est l'héroïsme ; mais qu'on meurt comme Franz, à part le sauver lui-même, je ne comprends pas où est le but. C'est le premier défaut du film : son personnage a tort, ou en tout cas n'a raison que pour lui. Mais si ce n'était que ça, on quitterait le film désintéressé et voilà tout. Mais il faut se fader trois heures de niaiserie mystique qui feraient passer Coelho pour un punk à chien, et résister à cette vision hyper naïve de la campagne. Je comprends bien le principe : l'Autriche rurale est ici un fantasme de Franz, enfermé et brimé, et il a sûrement tendance à embellir son passé. Mais tout de même : représenter le monde avec ces images d'Epinal dignes d'une boîte de chocolat laisse baba, et on doute même que Malick aime cet univers immondément sucré et soit sincère avec lui-même. Jamais on n'aura vu de campagne aussi propre, aussi bien rangée, de champs aussi bien alignés et de travaux des champs aussi joyeux et faciles (les gens ont tout loisir de rire en s'envoyant des poignées de paille à la figure ou de se rouler dans les sous-bois) ; jamais on n'aura vu un portrait de la famille aussi vomitif, d'une imagerie aussi mièvre et lisse. Pour corser tout ça, Malick use d'une mise en scène que je qualifierais d'impossible pour ne pas être désobligeant et briser sa carrière (vous ne connaissez pas le pouvoir de Shangols) : une caméra hyper mobile, sans cesse en travellings avant et arrière, qui vient s'arrêter systématiquement en contre-plongée à deux centimètres des visages, les tordant pour le coup très laidement ; des focales rondes (je ne suis pas technicien) qui rendent les paysages étouffants et les intérieurs tarabiscotés ; une lumière divine qui aplatit tout ça ; et ces fameux paysages à la Arthus-Bertrand, qu'on croirait échappés d'une pub pour les produits laitiers. Avec tout ça, avec cette présence constante du cinéaste dans le moindre interstice de son film, avec ces acteurs dirigés au plus naïf, avec cette histoire qui manque d'ampleur et qui ne tient pas sur trois heures (1h30 aurait largement suffi), avec ce mysticisme béni-oui-oui qui enterre tout, avec ce ton hyper lourdaud qui file tout du long (Malick rit quand il se brûle), on ne vibre pas une seconde aux aventures un peu pitoyables de l'ami Franz, et on reste sagement à l'extérieur du film, comme si on assistait à une messe en latin. Ô Seigneur Marie Joseph Holy God of Miséricorde...

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