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19 août 2021

LIVRE : Protocole Gouvernante de Guillaume Lavenant - 2019

9782743648145,0-5911918En littérature, c'est souvent dans les jeunes pots qu'on fait la meilleure soupe. Ce premier roman est donc intrigant et bizarre, doté d'un charme vénéneux qui frôle même parfois une certaine impression de danger, comme si en même temps qu'on le lisait on avait l'impression de lire un manuel révolutionnaire codé. De révolution il est question en effet là-dedans, même si le livre prend la forme d'une dystopie fantastique finalement assez proche de La Servante écarlate. Voici donc un protocole, une suite de consignes écrites au futur et à la deuxième personne du pluriel, décrivant minutieusement et dans le détail les gestes que devra accomplir une femme nommée gouvernante dans une petite famille blanche modèle d'aujourd'hui. Sa façon de s'habiller, de se présenter, de se comporter, et peu à peu de devenir irremplaçable au sein du foyer ; mais aussi une description par le menu des émotions qu'elle aura à traverser, des difficultés qu'elle aura à rencontrer, des doutes qui l'assailliront : un manuel programmatique presque objectif des faits et gestes de la vie de cette femme dans la famille. Avec pour projet final, qui se dessine de plus en plus précisément dans le livre et finit par amener une véritable angoisse : le remplacement, puis l'implosion de cette famille, premier pas vers un acte révolutionnaire terroriste global, à base d'enlèvements d'enfants, d'incendies criminels et de chaos général.

Il suffit que la gouvernante frappe à la porte au début du livre pour que soit convoquée toute une imagerie au charme gothique délicieux, d'Henry James à Dickens ; et il suffit qu'on commence à deviner derrière l'exemplarité de son professionnalisme quelques buts moins avouables pour qu'on songe à toute une histoire du cinéma et de la littérature fantastique, des Invasions de Profanateurs à Parasites. Lavenant surfe sur toutes ces références et tout ce passé avec une adresse toute délicate, et y adjoint un ton nouveau qui réjouit  : la froideur du style dément une certaine fièvre qui bout là-dessous, on sent dès le départ qu'on est au bord de quelque chose de grave, et le compte à rebours est commencé dès les premières lignes. Sans dévoiler tous ses mystères, en gardant secret l'objectif final de cette mystérieuse organisation (qui obéit à des règles proches de celles d'une secte, avec son gourou charismatique, ses sous-chefs, ses soldats et ses travailleuses pleines d'abnégation), le roman déploie une trame vénéneuse qui marque les esprits. La faute à cette minutie dans la description de la lente emprise de la femme sur cette famille typique : le sexe, la tendresse, la dévotion, le désir, l'intelligence sont autant d'outils pour asseoir sa présence dans la foyer, et le déroulé exact du protocole a quelque chose d'effrayant, d'irrépressible. Non seulement la dame doit s'armer de psychologie pour parvenir à ses fins, mais elle obéit aussi à une suite d'injonctions mystérieuses (infiltrer de l'eau sous le parquet, insister sur les aspects effrayants d'un conte pour enfants, baiser avec le chef de famille) qui rendent encore ses intentions plus opaques. Bref, on est happé par le mystère de ce texte qu'on imagine subversif alors qu'il présente une surface lisse. Et dans les dernières pages, quand tout s'emballe, on remercie Lavenant d'avoir su instiller ce mystère et de lâcher ainsi les chevaux aussi joliment. Le terrorisme de demain sera psychologique et familial. (Gols 06/09/19)


Ah oui, chronique remarquable en tout point de l'ami Gols à l'image de ce roman écrit par un ami d'ami (Ah ? un type que je ne connais point par ailleurs, soyons clair sur la longueur de mon bras). On rentre en effet dans ce roman par la petite porte, sans vraiment savoir quelles sont les intentions de cette curieuse gouvernante obéissante mais que l'on devine bigrement intelligente au demeurant. L'emploi constant du futur ne cesse de nous projeter en avant et on lit avec ardeur, de bout en bout, cet ouvrage en attendant de voir à quel moment il va salement dérailler. La jeune femme, aussi habile pour manier l'art des placements en bourse que la psychologie infantile, a tôt fait de retourner le mari comme une crêpe avant d'assommer littéralement toute cette famille sans avoir besoin d'ailleurs de la moindre poêle (un protocole quasi pasolinien, quand on y songe). On a peur que Lavenant nous pète dans les doigts en route, fasse monter toute cette tension pour un simple pétard mouillé, que nenni, il s'attèle jusqu'au bout à la tâche, jusqu'à l'explosion finale (un final qui rendrait le sourire à tout gilet jaune qui aurait le temps de lire sur un rond-point). Ce roman file à deux cents à l'heure, à l'image de cette fuite en moto de notre gouvernante, cinématographique à mort. Une écriture précise, un suspense haletant, un chaos final enivrant... Le livre ressort en poche, raison de plus pour sauter dessus ! (Shang 19/08/21)

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