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31 août 2019

LIVRE : 77 de Marin Fouqué - 2019

9782330125455,0-5911818Grandeur et misère de la Seine-et-Marne, splendeur et décadence des abri-bus. Fouqué, pour son premier roman de toute évidence issu d'un gars qui écoute du rap, s'intéresse à ce qui n'intéresse pas les autres : les petits, les sans-dents, les mecs à capuche qui fument des bédos en crachant par terre au lieu d'aller au lycée. Qui plus est dans un minuscule bled ni tout à fait parisien ni tout à fait provincial, une de ces rase-campagne urbanisées, une de ces cité-dortoirs sans âme. Nous voici donc dans la tête d'un jeune désoeuvré, comme on dit, tuant le temps en regardant passer les bagnoles devant l'abri-bus qu'il a choisi comme confessionnal. Pendant 200 pages, on va remonter le fil de sa morne existence, entre coups pendables et projets peu glorieux, entre recherche d'identité et petites lâchetés, entre rejet familial et trahisons d'amis. L'insouciance rigolarde des années d'enfance, en compagnie d'Enzo et de la fille Novembre, se change petit à petit en tourments d'adolescent sans avenir en compagnie du "passeur" Kevin. Pas costaud, pas courageux, pas séduisant, pas talentueux en quoi que ce soit, notre petit gars, cette fois, se pose et fait le bilan de son existence, se découvrant une sexualité peut-être plus complexe qu'attendue, se construisant une identité éloignée des schémas de banlieue habituels, et s'affirmant au final comme individu face à la machine à niveler qu'est ce chien de statut social.

77 fait partie de ces livres qui nous arrivent depuis un an ou deux, ceux qui se sont appelés L'Eté des Charognes, Fief ou Leurs enfants après eux : ils font enfin entendre une nouvelle voix, celle de la jeunesse de banlieue, celle qui a été bercée à la misère sociale, au rap et à la télé. Son seul défaut est d'arriver après ceux cités. Même parfaitement écrit, même décrivant un "héros" original et attachant, le livre ressemble à ceux déjà faits par les camarades de jeu de Fouqué. Du coup, on le soupçonne (ou plutôt on soupçonne Actes Sud) de surfer sur la vague un peu roublarde de cette littérature de jeune. Mais tant pis : la grande sincérité de l'auteur, qui se débarrasse de tous les tics fatigants de l'écriture de banlieue (cf Simon Johannin), fait mouche, et on apprécie le ton doux-amer du roman. Dôté d'un humour solide, écrit avec un sens du rythme parfait (un seul bloc de texte sans paragraphe, strié parfois du passage des voitures, comme un flot (ou flow) verbal qui ne peut pas s'arrêter), parfois passionnant malgré la petitesse des anecdotes, il plante solidement un univers hyper-crédible peuplé de personnages qu'on a tous croisés : le paysan râleur du coin, ici depuis toujours ; la vieille folle, qui fait un peu peur et qu'il faut ramener chez elle ; l'idiot du village qui bloque sur un coin de rue, les parents démissionnaires qui règlent tout à grandes baffes ; les copains plus ou moins recommandables... Qu'il décrive les lotos soporifiques du dimanche ou les premiers émois sexuels, la peine des trahisons ou les hontes de l'adolescence, Fouqué est très juste, toujours drôle, souvent émouvant. On lirait bien ce livre avec un disque de Lomepal en fond, ou en tirant sur un bon vieux pétard bien gras. Joli premier roman.

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