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30 août 2019

LIVRE : Mon Année de repos et de détente (My Year of Rest and Relaxation) d'Ottessa Moshfegh - 2019

9782213711515,0-5943646Singulier livre que celui-ci, mazette, mais sa singularité fait mouche, et il faut passer outre la moche couverture trop cool et le côté easy-reading du design. Si vous poussez la porte, vous serez même surpris par l'esprit néo-punk de l'écriture de Moshfegh. Néo-punk, parce que la belle, à l'instar d'un Bret Easton Ellis qui a dû se lécher les babines devant ce livre qui l'érige sans hésitation comme modèle, voit la société comme un étalage vulgaire de marques, de produits de consommation faciles, et du coup de vies gâchées. L'héroïne est une étudiante en Arts dépressive, engagée dans une de ces galeries à la mode qui expose des performers roublards. Dépassé par son inappétence à vivre, bien consciente pourtant de son appartenance à cette société superficielle, elle décide de passer une année à dormir, s'extrayant de ses contemporains et réalisant un acte de rébellion totale : ne servir à rien, passer à l'état de légume. Pas si facile à réaliser, ce projet : entre la "meilleure amie" qui vient vous déranger pour vous parler de ses histoires de cul impossibles, la psy qu'il faut convaincre de vous refiler les cachetons nécessaires, le magnétoscope qui tombe en panne juste au milieu de la 8000ème rediffusion de Sister Act et l'achat de bouffe toute prête à la bodega du coin, notre bougresse a bien du mal à atteindre son but : ne plus penser, ne presque plus vivre, même, végéter toute la journée, demeurer dans un état de latence bienheureux. Les somnifères ont des effets secondaires assez indésirables et déclenchent le somnambulisme chez notre héroïne, qui devient peu à peu un vrai zombie dont les comportements lui échappent... jusqu'à ce que, par un ultime pied de nez, et juste avant le 11 septembre, l'art contemporain pointu vienne à son aide, la transformant en sujet artistique expérimental. Elle se livrera aux désirs d'un plasticien chinois, devenant elle-même un objet, trouvant enfin l'assouvissement de son projet : devenir un produit de consommation.

Portrait implacable de cette génération de glandeurs désespérés, Mon Année de repos et de détente est à conseiller à tous les adeptes de l'humour dépressif à la Houellebecq. Vous n'en sortirez pas avec une vue très saine sur la vie, mais au moins vous vous serez tapé un texte très drôle, cynique à mort, et qui parvient à être passionnant malgré sa trame très ténu. Entre les visites de sa copine (qu'elle déteste) avec laquelle elle parle de cul et les séances de psy (un grand moment) complètement surréalistes (le Dr Tuttle oublie à chaque séance que les parents de sa patiente sont morts), entre les souvenirs d'enfance tordus et les listes infinis de médocs, on navigue à vue dans ce texte improbable, pas vraiment décidé sur la fait qu'il faille en rire ou en pleurer. En surface, le texte est brillant, écrit dans un esprit à la Woody Allen (un Woody bien drogué), hilarant souvent, très "mode" ; en profondeur, il est salement déprimant, décrivant une génération désoeuvrée et perdue au milieu des logos et des bribes de culture populaire (Woopi Goldberg et Harrison Ford en maîtres du monde), renvoyant dos à dos les concepts d'art, de famille, d'amitié, de sexe. Le monde est une horreur mondialisée, et la narratrice semble bien avoir trouvé la seule manière de s'en sortir sans se suicider : dormir. Mais "Mourir, dormir ; dormir, rêver peut-être. C'est là le hic !", comme dit ce bon vieux Hamlet, la jeune femme en fera les frais. Véritable manifeste pour la léthargie, un livre qui cache bien son jeu, et finit par vous convaincre sans esclandre.

Commentaires
M
"Magnétoscope" ? <br /> <br /> C'est donc une u-chronie...
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