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24 août 2019

Essene de Frederick Wiseman - 1972

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Trois plongées cette fois-ci pour Wiseman : une dans les secrets d'alcove d'un monastère bénédictin assez obscur à l'orée des années 70 ; une dans la psyché humaine à travers le portrait d'une communauté mal soudée ; et une en austérité, puisque Essene est le film le plus spartiate de son auteur. Nous voilà donc dans un film d'hommes entre eux ou presque, puisqu'on nous présente une communauté de religieux assez fanatiques, qui non seulement ont quitté le vaste monde et ses vanités, mais passent également leur temps à réfléchir à l'inanité de nos désirs, à la force de leur foi et aux douleurs de la société ; vous leur fileriez une branche d'orties, ils s'en fouetteraient copieusement le dos. Le portrait que dresse Wiseman de ce groupe fait froid dans le dos, d'autant qu'il place au début de son doc l'interview d'un frère aussi aimable qu'une porte de monastère bénédictin : le gars répond par monosyllabes en montrant une face de dix mètres de long, et on se dit que la piété n'apprend pas la politesse. D'autant que les collègues de ce brave homme constituent une joyeuse compagnie de gens très éclectiques, depuis le moine contrit mélangeant allègrement la Bible et le Livre des Morts tibétain jusqu'au Japonais venant expier Hiroshima, dans une joyeuse cacophonie de croyances plus ou moins académiques. Et c'est bien là que le bât commence à blesser : les dissensions apparaissent, et nos pauvres moines vont de réunion en réunion pour tenter d'éteindre les conflits, en vain. Le film interroge ni plus ni moins ce qui fait le fond du cinéma de Wiseman, lui qui filme depuis toujours des communautés : le groupe induit-il obligatoirement l'homogénéité ? qu'est-ce qui rassemble les gens, mais aussi qu'est-ce qui les éloigne ? et cette quasi-utopie de ses films (unir les hommes) ne se heurte-t-elle pas à un moment donné à la triste réalité ?

Essene

Par des gros plans étouffants, qui ne quittent pratiquement jamais le visage de ces moines souffrants, Wiseman enferme ses personnages dans leur propre individualité, dans leurs propres croyances, dans leur propre identité. Ils ont beau se serrer dans leurs bras et réciter ensemble les prières, les différences résistent, et on donne peu d'avenir à cette confrérie. Pour cette fois, la mise en scène enferme, ne ménage pas de ces portes de sorties habituelles chez Wiseman. Sauf à une occasion : l'achat d'un des moines de sacs plastiques et d'un épluche-légumes (!) est l'occasion d'un dialogue à double tranchant avec un vendeur de supérette, et vient rappeler qu'à côté de ces considérations absconses et ces interrogations de martyr, le monde "normal" continue de tourner. Rentré au monastère, la caméra continue de s'accrocher à ces visages extatiques marqués par l'Illumination divine ou sur ces faces tourmentées, en larmes, anxieuses, en plein doute. Du coup, oui, c'est assez pénible à suivre, on se retrouve un peu enseveli sous ces mots abstraits, ces paraboles à deux balles, ces tourments qui semblent bien éloignés de la vie courante, ces gens qui pour la plupart sont venus chercher un apaisement personnel un peu flou (on est en pleine période post-hippie, et ça fuse niveau ésotérisme) en oubliant la force intrinsèque de leur communauté : le groupe. On s'ennuie un peu, c'est vrai, et Wiseman s'attarde peut-être un peu trop sur les longues conférences sur l'âme ou sur les prières doloristes de ces messieurs. Mais Essene est quoi qu'il en soit un film intéressant dans sa carrière, parce qu'il s'interroge sur les propres fondements de son travail.

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