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24 mai 2019

LIVRE : 1984 d'Eric Plamondon - 2011/2013

9782896982608,1-349333Johnny Weissmuller, Richard Brautigan, Steve Jobs : trois façons de voir l'Amérique, l'un côté stars, un autre côté beat, le troisième coté tech ; trois destins exceptionnels ; trois personnages que l'ersatz de Plamondon, nommé Rivages, va traquer pour tenter d'en comprendre les mécanismes mentaux, l'importance sociale, le malheur rentré, et surtout leurs rapports avec lui-même et sa propre vie. Avec comme point de mire, comme année pivot commune à tous : 1984, date de la mort des deux premiers, et modèle orwellien du troisième. Eric Plamondon, dont j'avais déjà aimé Taqawan, regroupe ses trois premiers livres en un seul gros volume : Hongrie-Hollywood express s'intéresse au champion olympique de natation, petit émigré hongrois devenu une méga-star en interprétant Tarzan, avant de finir dans la misère et la folie ; Mayonnaise à l'auteur mystérieux, fantaisiste et révolutionnaire de La Vengeance de la Pelouse, ses rapports douloureux avec les femmes, son originalité et son triste suicide ; Pomme S au créateur génial d'Apple et du story-telling à l'américaine, ses déboires familiaux confinant à l'autisme et sa fin en pleine gloire. Avec pour optique que ces trois destins ont ceci de commun qu'ils racontent des histoires, plus encore qu'une réalité, et que la société a besoin d'histoire, tout comme en a besoin la littérature. Ces trois figures se croisent et se décroisent, s'éloignent parfois pour mieux se retrouver au détour d'une page, d'une anecdote, d'un personnage commun, et Plamondon en profite mine de rien pour tracer une sorte d'histoire-bis de l'Amérique, avec ces migrants massés sur les bateaux, cette contre-culture joyeuse, ce rêve du self-made-man, ces records qui tombent et ces découvertes scientifiques érigées en mythes, qui cachent la mort et le malheur.

J'ai été carrément emballé par ce bouquin qui fait semblant d'être dilettante, de parler d'autre chose, pour mieux revenir au noeud central de son récit : le mythe américain. Dans ces trois histoires, le gars parvient avec une intelligence totale, un humour au taquet et un style léger et captivant, à rendre compte de ces grandes figures, par l'anecdote, par la petite histoire, capable de remonter à Galilée pour parler de Jobs, ou de révéler des coïncidences plus ou moins pertinentes pour dresser des ponts entre ses sujets. A la manière de Brautigan justement, Plamondon ne refuse pas la poésie, la divagation, la rêverie, se souciant finalement assez peu de vérité, mais passionné par les petits détails, les minuscules faits et gestes ; comme lui aussi, il privilégie la forme courte, troussant des tout petits chapitres (de une ligne à trois pages maxi) façon sculpteur ; comme lui, il érige la digression en art majeur, et profite de ses grands sujets pour parler de sa propre vie, de son rôle de père, de son passé. Il le fait avec un humour constant, malgré la profonde empathie qu'il éprouve envers ses personnages (Weissmuller en premier lieu), et dans une forme au charme énorme. Le livre donne en plus une foule d'informations passionnantes, à la manière de miscellanées, tirant tous azimuts et faisant parler des faits a priori très éloignés de son sujet, histoire de voir. Entre l'essai biographique et la digression surréaliste, entre l'auto-portrait et la chronique sociale (le volet le plus intéressant, celui sur Jobs, fouille les rapports de celui-ci avec le futurisme, l'utopie, le mouvement hippie, et traverse finalement toute l'histoire de la deuxième moitié du XXème en Amérique), 1984 est un machin captivant, dont on dévore les 600 pages en moins que rien, entraîné par le rythme impeccable et la construction diabolique de l'ensemble. Grande idée d'avoir rassemblé ces trois livres qui se répondent l'un l'autre, et grande idée de les lire.

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